Un fait divers digne d’un polar noir américain des années cinquante. Mais nous sommes au vingt-et-unième siècle où la justice a un devoir d’enquête et de respect de la personne.

Fulvio a été tué par balles à l’arrière d’une voiture à deux portes par un policier cow-boy usant d’un droit de tuer hors service. On lui vole son corps, on détruit son image, on place sa mère dans un processus de culpabilité et tout devrait se glacer dans la froideur judiciaire. Autopsie, morgue, enquête, procès, tout cela ne fait qu’entériner une version officielle : le crime légal est juridiquement justifié.

La vérité des faits, la complexité des comportements humains, le droit de sauver la mémoire pour permettre de vivre l’avenir n’est pas mis dans la balance. Une police caricaturale préfère le bandeau de l’hypocrisie au questionnement sur le mal être d’une société violente.

Fulvio a été tué le lundi 10 mai 1993 à 17 heures. Fulvio quitte la maison à 16 h 35, pressé comme un jeune amoureux peut l’être de rejoindre sa copine à l’école. Savait-il que monter dans la voiture d’un copain ne lui ferait jamais rejoindre sa petite amie ? Un copain genre quatre cents coups mais qu’importe…

L’on assiste dans cette affaire judiciaire, qui se clôture par le décès par balles d’un jeune, à une succession de contrevérités et d’a priori privilégiant la version du policier responsable du décès de Fulvio.

Au départ d’une poursuite entre une voiture civile et des voitures de la gendarmerie pour une infraction banale, on en arrive à une bavure des forces de l’ordre commise par un agent brigadier à la police communale d’Ans, ignorant tout de la matérialité des faits, moniteur de tir, en civil, hors service, hors de son territoire d’intervention, porteur d’une de ses armes personnelles non couverte par un permis de port d’arme légal – un Glock 17-9 mm – chargé de 18 balles de marques Winchester hollow-point enveloppe nickelée à fragmentation, interdites par la Convention de La Haye.

Un juge d’instruction qui part du principe de la culpabilité du conducteur de la voiture, ce qui fait de Fulvio un mort responsable et non une victime de bavure.

Une inhumation administrative qui, de la morgue au prétoire, considère la famille comme coupable indirecte et fait d’un cœur et d’un corps humain, quelques heures auparavant ayant des projets de vie, un objet inanimé et froid.

Le mardi 11 mai 1993 à 18 h 30, deux membres de la P.J. de Liège viennent m’annoncer la mort de Fulvio. Malgré l’effondrement phénoménal de la pensée et des sentiments, je m’oppose à leur volonté de perquisitionner mon domicile à la recherche d’indices… Ils ne trouvent rien. Etonnés, ils en déduisent à haute voix que Fulvio n’habite pas chez moi !

A ma demande d’aller voir mon fils, le commissaire m’informe de la nécessité d’obtenir, au préalable, une autorisation en bonne et due forme du juge d’instruction, lequel n’est joignable que le lendemain matin, soit le mercredi 12 mai 1993.

Mon premier contact avec la juge a été glacial et glaçant. Sans préambule elle me lance : "Je ne doute pas un seul instant de la bonne foi et de la bonne conduite du policier, le seul fautif est Fulvio lui-même, qui n’avait pas à monter dans la voiture. Le dossier sera classé ! " Je lui rétorque que je me constitue partie civile et exige d’aller voir et reconnaître mon fils. Elle m’a répondu que la loi ne me le permettait pas. Mon seul droit consistait à récupérer le plus rapidement possible la dépouille de Fulvio contre paiement… Avec cette réponse d’une sècheresse indicible : "Si vous ne le retirez pas rapidement, je le ferai enterrer comme indigent ! "

Après l’échec de ce premier contact, je décide de me rendre à la morgue accompagnée de quelques amis. Nous sommes en mai, il fait très beau et chaud. La morgue est en réfection et le système de réfrigération ne fonctionne pas. Ce lieu très sale, ensanglanté est un enfer. Une chaleur étouffante, une odeur pestilentielle règnent. Une légion de grosses mouches bourdonnent autour d’une caisse grossièrement clouée dans laquelle se trouve quelque chose qui les attire. Un des préposés de cet endroit lugubre se manifeste avec autorité et agressivité pour nous mettre dehors. Il n’y réussit pas. Après de vives discussions, il me demande d’identifier "le cadavre qui est là depuis lundi soir" en me proposant de remplir une fiche d’identification du corps qui gît dans ladite caisse. Chose absurde ! Tout en refusant de me montrer le corps présumé de Fulvio, je dois attester l’avoir vu et reconnu en déclinant son identité.

Text Box: MORT  D’UN   JEUNE…
 JUSTICE  MORBIDE
Dans cette morgue où toutes relations humaines se résument à une bataille administrative, les papiers d’abord, le corps ensuite mais quel corps ! Reconnaître mon fils devenait une procédure, le médecin légiste était-il encore médecin ou tout simplement un fonctionnaire de la mort pour me décrire froidement l’état du corps morcelé de mon fils ? La balle s’était logée dans l’arrière de la tête. Mon fils n’est plus qu’une dépouille disséquée, une cervelle répandue.

Froideur du juge mais que dire de la réaction première d’un avocat d’alors, chargé de la défense, qui ne fait qu’entériner les propos du juge et de l’appareil d’oppression.

On tue Fulvio et on me refuse en plus le droit de voir et de savoir.

Un scénario judiciaire et policier se monte. Il s’agit d’impressionner et de culpabiliser la mère, la famille et l’entourage du jeune tué.

Ce ne fut pas seulement une suspicion momentanée mais une pratique délibérée pour trouver à tout prix des éléments à charge pour salir la victime et humilier sa famille. Puisque même en décembre 1996, on osait pratiquer une perquisition infamante, sans bien sûr rien trouver.

Au départ de l’instruction jusqu’aux multiples procédures engagées, consciemment, le juridisme pénal n’est plus respecté.

Qu’importe de savoir la matérialité des faits, c’est le procès qui commence avec la notion sacro-sainte de la légitime défense soutenue par l’appareil judiciaire face au questionnement civil de la bavure policière.

Au-delà du décès même de Fulvio, la justice a occulté la responsabilité d’un agent de l’Etat, porteur d’arme et l’utilisant hors de ses fonctions.

Comment appréhender la responsabilité matérielle et morale d’un policier qui utilise consciemment une arme de précision dans un contexte qu’il ne maîtrise pas et sans la moindre mission en cours, puisqu’il se trouve sur les lieux du drame par hasard, et a agi en simple passant.

Comment ne pas s’étonner d’une recherche systématique de culpabilité du côté de la personne décédée et d’un angélisme judiciaire vis-à-vis d’un comportement violent, mortifère et révoltant d’un agent de l’Etat.

é Lucia

 

Le 11 octobre 2000, après de longues et nombreuses  années d’attente, de tergiversations et de procédures, la Cour d’appel de Liège avait déclaré irrecevable l’action civile intentée par la mère et le frère de la victime. Ce 28 novembre, la Cour de cassation a mis à néant cet arrêt et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Mons.