CRIMINALISATION DE LA LIBERTE
Ces derniers mois, les palais de justice ont fait passer le goût de l'indépendance à quelques gagne-petit accusés de s'être rebellés contre la pauvreté et l'exploitation capitaliste ; les prétoires ont résonné d'envolées passionnées et contemplé les effets de manches des corbeaux à jabot attachés à réprimer la dissidence et à criminaliser la liberté.
L'affaire des 13 de Clabecq a ouvert le ban et caricaturé les procédés antisociaux actuellement à la mode. La lutte des travailleurs abandonnés à un sort misérable a déplu aux dominants qui se partagent le pouvoir. Si les délégués syndicaux sont désignés par les travailleurs, ils sont révoqués par l'appareil dès qu'ils se montrent rétifs. Les bonzes du syndicat acceptent ou refusent les décisions des travailleurs et, en l'occurrence, ils avaient décidé d'exclure les délégués combatifs, de les jeter aux chiens, de les abandonner à la sanction de la justice de classe et de débarrasser l'horizon syndical de la bande à D'Orazio. Le Président du tribunal a mené les débats sans faiblesse, rabrouant et malmenant les accusés d'une voix de stentor, stigmatisant la lutte ouvrière et s'apitoyant d'abord sur le sort de l'homme aux yeux bleus puis sur les pauvres policiers défaits en rase campagne et contraints à une retraite ignominieuse par le bulldozer des manifestants. Mais, au moment où la paille des cachots s'apprêtait à recevoir les condamnés, le glaive de la justice fut arrêté par une succession d'événements presque providentiels. Après l'Autriche et l'Italie, le populisme grimaçait en France puis aux Pays-Bas et enfin au Danemark. Par un verdict impitoyable annoncé déjà dans une presse complaisante, le pouvoir allait-il pousser les travailleurs dans les bras de l'extrême droite ? Le gouvernement balançait entre sa vengeance et sa sécurité. Finalement le Président, qui jusque-là tranchait d'un ton dur et ferme, annonça en chevrotant qu'il suspendait le prononcé, qu'il renvoyait les accusés à leur pauvreté et les nantis à leur tranquillité. Une procédure de quatre années se terminait en points de suspension...
Le procès des trois anarchistes allemands est lui aussi venu à échéance et s'est terminé devant le tribunal correctionnel de Bruxelles. Etrangers aux incidents qui ont accompagné la dislocation de la manifestation du D14 à Tours et Taxis, les trois jeunes Allemands ont été interpellés alors qu'ils s'en retournaient paisiblement vers leur lieu d'hébergement. Brutalisés, plaqués au sol et menottés, ils ont été incarcérés avant d'être traînés devant le tribunal. Rien ne pouvait leur être reproché.
L'accusation reposait entièrement sur des rapports unilatéraux et des témoignages de policiers dont les déclarations à géométrie variable s'adaptaient aux évolutions de la procédure et au déroulement du procès. Le Président du tribunal a même refusé d'entendre une déclaration des inculpés Niels, Benjamin et Marek essentielle pour leur défense. C'est que la sérénité de la justice s'est effacée devant la volonté du pouvoir de faire des exemples en prévision des sommets européens qui se dérouleront dorénavant principalement à Bruxelles. Cette affaire minuscule et inconsistante, sans proportion avec les réquisitions impitoyables et les incriminations féroces retenues dans l'affaire de Clabecq n'a pas connu la même conclusion. La souris a accouché d'une montagne. Les trois anarchistes innocents ont été condamnés à un an de prison, avec un sursis probatoire il est vrai. Mais la disproportion entre les faits et la peine, entre des actes graves accomplis par des travailleurs en colère et l'action présumée d'anarchistes animés par un idéal de liberté est trop évidente pour ne pas être dénoncée. Le pouvoir n'a pas hésité à absoudre ceux-là et à sauvagement punir ceux-ci ; car il sait que les conflits du travail sont ponctuels et qu'ils s'éteignent un à un sans propagation dangereuse ; car il sait aussi que le danger pour les nantis viendra des anarchistes et de leur idéal de liberté. Il convenait donc de frapper fort et pour l'exemple. Les indociles doivent être avertis que la pensée unique veille sur la correction des convictions et surtout sur leur expression qui ne saurait dépasser la ligne droite tracée par les chevaux de frise.
Décidément plus prompte à réprimer la révolte sociale qu'à s'occuper des criminels en pantalons rayés et cigares Corona, la justice a découvert un nouveau délinquant à mettre hors d'état de nuire. On se rappellera qu'à l'occasion de la manifestation des anarchistes du 15 décembre dernier, une affiche imprimée annonçait l'événement. D'une facture neutre, l'affiche se distinguait surtout par sa banalité et un manque d'imagination peu en rapport avec l'exubérante fantaisie et les facultés d'invention des anarchistes généralement mieux inspirés. Un petit clin d'oeil historique s'adressait aux initiés et mentionnait Emma Goldman comme éditeur responsable. Mais la CNT française veillait et elle insistait beaucoup pour que tout se déroule dans la plus parfaite légalité et le respect des règlements. Notre ami Rana accepta donc de substituer son nom à celui d'Emma Goldman et d'effacer ainsi malgré lui la seule molécule d'intelligence de cette affiche décidément mal née.
Il eut bientôt tout le loisir de méditer sur les grands effets que peuvent produire de petites causes.
Ce fameux samedi 15 décembre, alors que la CNT refusait de manifester avec les anarchistes et rejoignait une procession de réformistes et de parlementaires, le défilé des noirs recouvrait les rues de ses milliers de participants. Sur le parcours, provocation ou inconscience, quelques voitures Mercedes étaient garées le long des trottoirs. Elles payèrent de petits dégâts l'insolence de leurs propriétaires. Des journaux bien informés comme Alternative Libertaire par exemple, affirmèrent aussitôt que ces luxueuses limousines étaient la propriété des pauvres des banlieues et que les déprédations qu'elles avaient subies aggravaient les épreuves des déshérités et des défavorisés. On était un peu surpris d'apprendre que la Mercedes est la voiture du pauvre comme le cervelas est sans doute le festin du riche. Mais, comme ces véhicules de grand luxe sont couverts par de dispendieuses assurances omniums que seuls les pauvres des banlieues peuvent se payer, les sociétés d'assurances lancèrent la toute nouvelle et non moins luxueuse police fédérale aux trousses des casseurs. Un pandore particulièrement intelligent découvrit bientôt un nom écrit en petits caractères au bas d'une affiche. Le crime était signé. Rana entrait dans la galerie des grands bandits anarchistes aux côtés d'Emile Henry et de Ravachol.
Les papiers timbrés s'entassèrent bientôt dans sa boîte aux lettres. Les assureurs lui réclamaient des sommes mirobolantes en tant que responsable, instigateur et sans doute auteur des destructions subies par les véhicules dont on ne dissimulait plus ni la valeur ni le niveau de fortune des propriétaires. Mais la sarabande des assureurs n'était que les zakouskis du plat principal que préparaient les chefs de la police. De convocations en interrogatoires, d'intimidations en menaces, d'enquêtes en assignations, Rana fut maintes fois retourné sur le gril mais il s'est montré coriace et plutôt dur à cuire.
Les assureurs et la police continuent d'éplucher l'affiche et tentent encore de lui faire dire ce qui n'est pas écrit mais en vain. Une invitation à manifester n'est que l'exercice d'un droit naturel et nullement un appel à baguenauder hors des chemins balisés. D'ailleurs, la manifestation était étroitement surveillée. Le ministre de l'Intérieur a reconnu à la télévision que des agents de la sûreté déguisés avec tatouages et attirail punk avaient pris place dans le cortège pour le contrôler et intervenir si nécessaire. Les dégâts occasionnés aux rutilantes voitures ont été perpétrés sous l'oeil débonnaire de ces policiers et on peut même ajouter, quand on connaît la propension à l'incitation de certains d'entre eux, qu'il est probable que les casseurs furent d'abord des provocateurs infiltrés.
Après plus d'un an de travail et d'efforts incessants, les autorités n'ont toujours pas réussi à prouver la culpabilité de Rana. Celui-ci, par son sourire entendu et son mutisme obstiné, contribue d'ailleurs à renforcer la conviction des ganaches de la maréchaussée que Bruxelles, l'Europe et peut-être le Monde ont échappé ce jour-là à un cataclysme.
«Charly
[ ... ] Pour justifier son existence et faire qu'on le supporte, l'Etat, organe de domination et d'oppression, doit faire quelque chose, ou faire semblant de faire quelque chose pour les dominés. Et le meilleur moyen qu'il a imaginé est de faire dépendre les intérêts des gouvernés de la permanence et de la stabilité de l'Etat.
Pour pouvoir exploiter plus tranquillement le travail d'autrui et enlever à ses ouvriers la liberté de bouger et de se révolter, un patron intelligent construit des maisons pour ses ouvriers, promet des primes et des pensions qui, bien sûr, sont toujours payées par les ouvriers eux-mêmes, et au centuple. De la même façon, avec ses prétendues Assurances d'Etat, l'Etat cherche à conjuguer la révolte en faisant peur aux gens: si le gouvernement est renversé, si l'appareil d'Etat est ébranlé, ils pourraient perdre les maigres avantages payés d'avance par toutes les retenues faites sur leurs salaires et autres astuces du même genre.
Ce qui permet au gouvernement de faire coup double: il encaisse de l'argent et il se garantit cet ordre public que les gardes royales ne suffisent pas à maintenir.
Les socialistes d'Etat, ceux qui aspirent à la dictature, peuvent se réjouir de ce que l'Etat, serait-il monarchique, pousse les travailleurs à l'obéissance et les prépare à attendre la sécurité de leur existence, si misérable serait-elle, de la providence de celui qui commande.
Ils espèrent arriver au pouvoir, un jour ou l'autre, et ils ont tout intérêt à trouver des sujets dociles et tout un réseau en place d'intérêts conservateurs qui puisse arrêter l'élan révolutionnaire.
Mais ceux qui veulent que la prochaine révolution soit réellement émancipatrice, ceux qui veulent que les travailleurs prennent vraiment en mains la réorganisation sociale, ceux-là doivent de toute leurs forces résister à l'invasion toujours croissante du gouvernement dans les fonctions de la vie collective. [ ... ]
Umanità Nova, 6 août 1920
La langue de bois électro… nique….!
-----Message d'origine-----
De : gabriel.buendia_aulet@teledisnet.be
Envoyé : mardi 12 novembre 2002 18:39
Sujet : liberté !
La Belgique est un état totalitaire ou la liberté n'est plus qu'un rêve !
La répression et les discriminations de tout genre sont légions, vous participer à un gouvernement qui gère des centres fermer ! Camp de concentration a la belge !
La police est de plus en plus présente, les contrôles en tout genres de plus en plus fréquent !
Vous écrasé le peuple sous la masse de l'impôt injustement réclamer puisqu'il sert non pas au bien du peuple mais au financement de cet état totalitaire !
C'est pourquoi monsieur Dirupo, je vous demande à vous ainsi que à tout le gouvernement de démissionner en prenant bien soins avant de partir de destituer la monarchie (infâme monarchie aféoder à l'église !) Pour enfin que nous puissions accéder a ce qui est de plus cher notre liberté !
Bien fraternellement
Gabriel
La réponse (!?!)
De : Elio Di Rupo [elio@dirupo.net]
Envoyé : mercredi 13 novembre 2002 9:43
À : gabriel.buendia_aulet@teledisnet.be
Objet : RE : votre message
Cher Monsieur,
Votre message m'est bien parvenu et j'ai pris connaissance avec attention de vos réactions à certaines dérives policières et au manque d'égard pour les réfugiés.
Le PS se bat et continuera d'œuvrer de toutes ses forces contre les discriminations, en particulier contre celles qui frappent les plus démunis. Toutes nos propositions en matière de sécurité, d'insertion sociale et d'immigration vont dans ce sens.
En vous remerciant de votre engagement et de votre confiance,
Elio Di Rupo
Boulevard de l'Empereur 13
1000 Bruxelles
02/ 548.32.11 et 02/ 548.33.90