“C'EST L'ANARCHIE !"
Les gens de pouvoir, les médias utilisent à profusion le terme anarchie pour désigner le chaos économique, politique et moral de notre société.
L'emploi du mot anarchie tendrait à faire croire que ce monde est livré aux mains de forces diaboliques qui veulent renverser le bel édifice que les peuples disciplinés, conduits par les Etats, ont bâti au cours des siècles. Pourtant, ce sont bien les Etats qui se partagent et gouvernent la planète C'est bien à eux que l'on doit le désordre économique dans lequel nous vivons.
Faire mieux que les Etats dans les domaines du chaos et de l'horreur est difficile... Qui peut croire encore que le pouvoir est synonyme d'organisation ? Ceux qui vivent du pouvoir, très certainement. Mais pas les anarchistes. Le chaos institutionnalisé, le pouvoir et l'esclavage ont fait leur temps. Aujourd'hui, choisir l'anarchisme, c'est faire preuve de réalisme et de sens organisationnel. Nos détracteurs (des fascistes aux marxistes en passant par les démocrates) nous considèrent comme des terroristes ou des idéalistes en retard d'une révolution.
Il y a ceux aussi qui prétendent défendre l'anarchisme, mais qui préconisent une société sans règle, sans morale, sans contrainte, dans laquelle on pourrait faire ce que l'on veut. Quel choix le citoyen raisonnable pourra-t-il faire entre les propositions d'autoritaires de toutes sortes qui ont montré leur faillite, et celles des nihilistes de tout poil qui prétendent que demain on rasera gratis, tout étant résolu par la suppression pure et simple de toutes les institutions mises en place jusqu'à nos jours ?
La pensée libertaire englobe un projet de société différent de tous les modèles connus jusqu'à présent.
Alors, l'anarchie, c'est quoi ? C’est l’état d'un peuple, et plus exactement encore, d'un milieu social sans gouvernement. Hormis les anarchistes, tous les philosophes, tous les moralistes, tous les sociologues, y compris les théoriciens démocrates et les doctrinaires socialistes, affirment qu'en l'absence d'un gouvernement, d'une législation et d'une répression qui assure le respect de la loi et sévit contre toute infraction à celle-ci, il ne peut y avoir que désordre et criminalité. Les anarchistes affirment que "l'anarchie est la plus haute expression de l'ordre".
Anarchie et ordre ?
Notre ordre repose sur l'entente (principe de Liberté, opposé au principe d’Autorité). Au contraire, les autres propositions d'organisation de la société - socialisme, libéralisme, marxisme… - ont toujours octroyé à une minorité de privilégiés le droit de gérer la société à la place des concernés et pour leur propre profit. Ce mode de gestion porte un nom : l'État.
L'État est
l'expression politique du régime économique auquel est soumise la société. Il
permet et justifie l'oppression et l'exploitation de l'homme par l'homme : il
confisque à l’individu son pouvoir - en dictature comme en démocratie
(élections) - et met ce pouvoir au service du capital (répression des mouvements
sociaux, aides financières…).
L'État, à force d'être omniprésent, finit par se superposer à la
société, et tente de faire croire qu'en-dehors de lui elle ne
saurait fonctionner. Cette illusion est d’autant plus pathétique que
l’Etat constitue de fait un groupe social à part entière, coupé des
réalités des individus et des autres groupes sociaux. Il ne sert
qu’à maintenir l’ordre (fonctions législative et répressive) au service
des intérêts de la classe exploiteuse, qu’on la nomme patronat, bourgeoisie ou
nomenklatura.
Il s'appuie pour cela sur une morale dégradante et humiliante pour l'être humain, secondé en ce sens par la religion qui légitime elle aussi l'exploitation et la domination, se contentant parfois d'en condamner les manifestations les plus brutales, sans jamais émettre de critique de fond ni proposer d’autre modèle que patriarcal, conservateur, hiérarchique et caritatif.
Les anarchistes refusent ce modèle sociétaire, oppresseur, exploiteur, négation de l'individu et de ses aspirations. Ils cherchent par tous les moyens à montrer qu’il est possible et souhaitable de vivre dans une société égalitaire, gérée directement et librement par ses diverses composantes : individus, groupements sociaux, économiques, culturels, et ce dans le cadre du fédéralisme libertaire.
Le refus de l'autorité
Le refus de l'autorité n'est pas apparu avec les théories libertaires. Il les précède largement au travers des actes, des attitudes d'individus ou de groupements sociaux. Certains événements historiques nous le rappellent : par exemple les révoltes des esclaves dans la Rome antique, les jacqueries paysannes du Moyen âge, l'essor de la Renaissance, les philosophes des Lumières, la Révolution française. Plus près de nous, ces théories ont participé au déclenchement de la Révolution de 1848, de la Commune de Paris, de la Révolution russe et de la Révolution espagnole. Autant de lieux, de situations, dans lesquels des hommes ont cherché à desserrer, voire à abolir l'étau oppressif dans lequel ils se sentaient pris au piège.
En replaçant ces événements dans le contexte historique et social qui leur a donné naissance, on s'aperçoit qu'ils visent le même but : l'amélioration des conditions d'existence, le partage des richesses, le droit à la connaissance, l'instruction, le bien-être, bref une aspiration au bonheur. Ces mouvements de révolte ont été pour la plupart écrasés (les esclaves, les paysans, la Commune de Paris), ou récupérés au profit d'une classe ou d'un parti (la bourgeoisie émergente sous la Révolution française, les Bolcheviks dans la Révolution russe), ou encore détournés de leur but (les monarques dits "éclairés" du Siècle des Lumières). Car malgré l'embryon de liberté qu'ils contenaient, ils n'étaient pas suffisamment forts ni structurés pour renverser le cours des choses. Ils étaient des utopies dans le sens où ils ont osé projeter sur l'écran de l'avenir des images en contradiction avec celles de leur temps.
Héritages
Cet héritage
philosophique a été théorisé puis mis en pratique au XIXème siècle, coïncidant
en cela - et non sans raison - avec l'apparition du nationalisme et de
l'étatisme.
On s'accorde aujourd'hui à dire que Pierre Joseph Proudhon est le "père" de
l'anarchisme, le théoricien du système mutualiste et du fédéralisme, et
l’inspirateur du syndicalisme ouvrier. Son influence sur le mouvement ouvrier a
été réelle, puisqu'au sein de l'Association Internationale des Travailleurs
(A.I.T.) existait un courant nettement proudhonien.
Le Congrès de Saint-Imier (1872) jette les bases de l'anarchisme. Les délégués réunis proclament "que la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat", "que toute organisation d'un pouvoir politique soi-disant provisoire et révolutionnaire pour amener cette destruction, ne peut être qu'une tromperie et serait aussi dangereuse pour le prolétariat que tous les gouvernements existant aujourd'hui...".
Ces idées,
reprises de Michel Bakounine et de la Première Internationale, resteront
présentes jusqu'à nos jours. Elles seront l'apanage de Louise Michel (Commune de
Paris), du 1er Mai 1885 (Etats-Unis), de Fernand Pelloutier (Bourses du
Travail), des explications du monde d'Elisée Reclus, éminent géographe, de
Pierre Besnard (anarchosyndicalisme), de Pierre Kropotkine et du communisme
libertaire, de Paul Robin et de son école libertaire de Cempuis, de Jean Grave
et de ses quarante ans de propagande anarchiste, de Gustave Landauer, fusillé
par la soldatesque en 1919 pour sa lutte au côté des Conseils Ouvriers de
Bavière, de Nestor Makhno et de son engagement dans la révolution russe, de
Sacco et Vanzetti, assassinés par chaise électrique pour leurs idées, d'Erich
Mühsam, poète et dramaturge allemand, mort dans un camp de concentration en
1933, de Buenaventura Durruti pendant la guerre d'Espagne, d'Armand Robin et ses
langues multiples, pour ne citer que quelques-uns.
Après la seconde guerre mondiale, elles resurgiront et verront la création de la
Fédération Anarchiste, de l'Internationale des Fédérations Anarchistes dans le
monde; elles impulseront la reconstruction de la Confédération Nationale du
Travail, anarcho-syndicaliste, affiliée à l'A.I.T., elles souffleront dans les
rangs de Mai 68 et de la contre-culture, dans le mouvement social...
De l'anarchie à l'anarchisme.
Ainsi donc, l'anarchie est ce que nous entrevoyons (société libertaire) ; l'anarchisme est le mouvement social qui poursuit la réalisation de l'idéal anarchiste. L'anarchisme est une lutte incessante, sous les formes les plus variées, contre les préjugés, l’obscurantisme, le fait autoritaire. Il s'articule principalement autour de deux types de tâches : les unes destructives, les autres reconstructives. Les actions destructives consistent à saper profondément le principe d'autorité dans toutes ses manifestations, le démasquer, combattre toutes les manœuvres par lesquelles il tente de se réhabiliter et de se survivre sous une autre forme. Les actions reconstructives, parfois parallèles aux destructives, visent à mettre en place un fonctionnement fédéraliste et de gestion directe. Pour cela, il faut un outil adapté, une organisation…
Organisation
L'organisation est fonction du degré de conscience, atteint par les discussions, débats et confrontation d'idées, et dans l’action. Plus cette conscience sera grande et plus la vitalité de l'organisation sera élevée. Pour aboutir à une organisation souple et forte, en même temps conforme à l'esprit libertaire, il faut aller de la base au sommet, de l'unité au nombre, du particulier au collectif. Nous nous accordons entre individus et groupes sur un ensemble de principes généraux, de conceptions fondamentales et d'applications pratiques (voir nos 'Principes de base') : c'est le fédéralisme qui permet à chacun de rester lui-même, de se soustraire à tout écrasement, de garder son autonomie, de prendre une part active à la vie de l'organisation, d'émettre son opinion. Une telle organisation laisse à chacun de ses éléments la totalité des forces qui lui sont propres, tandis que par l'association de ces forces, elle atteint elle-même son maximum de vitalité.
Action.
L’action n’est pas l’agitation. Elle doit correspondre à un but, la révolution libertaire, et à une stratégie, plus circonstancielle. Parfois, la situation sociale est provisoirement calme, parfois elle s’emballe. L’organisation doit s’adapter à ces différentes phases. En tout état de cause, la place des militants anarchistes est dans la lutte sociale, expression de la lutte des classes, y compris dans les luttes dites réformistes (lutte contre la précarité, contre les licenciements, augmentation des salaires, défense des services publics…), avec nos pratiques antiautoritaires et d’action directe (contrôle et révocabilité des mandatés…), et nos perspectives d’ensemble. C’est de la confrontation entre nos idées, nos pratiques, et les masses, que peut surgir ou naître progressivement la conscience révolutionnaire.
Des propositions.
L'anarchisme, enfin, est un ensemble de propositions et de pratiques tendant à l'émancipation totale de l'homme en société. Si la société existe en tant qu'entité sociologique, l'individu existe tout autant, sans rapport hiérarchique à cette société.
C'est donc l'harmonie entre ces deux éléments que recherchent les anarchistes. L'émancipation est de triple nature. Emancipation économique d'abord, par la réappropriation des outils de production, leur gestion directe par les travailleurs eux mêmes, et par la répartition égalitaire des richesses. Emancipation politique ensuite, par le remplacement de la bureaucratie d'État, par une organisation fédéraliste des secteurs de la société, maintenant la cohésion et préservant l'autonomie.
Emancipation intellectuelle, enfin, via la prise en charge par l'individu de son rôle social, reléguant la religion et toute forme de soumission au musée des horreurs.
Une société sans classe et sans Etat, organisée par et pour les femmes et les hommes,
Voilà ce que veut l'anarchisme. L'anarchiste est par tempérament et par définition réfractaire à tout embrigadement qui trace à l'esprit des limites et encercle la vie. Il nie le principe d'autorité dans l'organisation sociale. Il ne peut donc y avoir de catéchisme libertaire.
L'organisation anarchiste de la société, émanation directe de la volonté des individus et des groupements sociaux, ne pourra se réaliser qu'en dehors et contre la tutelle de tous les organismes et structures autoritaires établis sur l'inégalité économique et sociale.
Les fondements éthiques et organiques du fédéralisme libertaire sont :
· la liberté comme base,
· l'égalité économique et sociale comme moyen,
· la fraternité comme but.
Cette définition marque la profonde différence entre le fédéralisme libertaire et le "fédéralisme étatique".
Nous appelons de toutes nos forces une société de type fédéraliste, fondée sur la possession collective ou individuelle des moyens de production et de distribution (excluant toute possibilité pour certains de vivre du travail d'autres), l’entraide, l'abolition du salariat et de l'exploitation de l'homme par l'homme.
Les anarchistes n'accordent aucun crédit à un simple changement des personnes qui exercent l'autorité : les mêmes causes engendrent les mêmes effets. Toutes les formes d'autorité se tiennent. En laisser subsister une seule, c'est favoriser la réapparition de toutes.
Vers une société libertaire.
Pour arriver à instaurer une société libertaire, il faut se doter de moyens en accord avec la finalité. Tel que l'exprime Errico Malatesta, "ces moyens ne sont pas arbitraires, ils dérivent nécessairement des fins que l'on se propose et des circonstances dans lesquelles on lutte. En se trompant sur le choix des moyens, on n'atteint pas le but envisagé, mais on s'en éloigne, vers des réalités souvent opposées et qui sont la conséquence naturelle et nécessaire des méthodes que l'on emploie".
Il est possible de vivre dans une société égalitaire, gérée directement et librement par ses diverses composantes (individus, groupements sociaux, économiques, culturels, ethniques...) dans le cadre du fédéralisme.
Les règles qui vont faire fonctionner une telle société sont basées sur des contrats mutuels, égalitaires, réciproques, pouvant être remis en cause à tout instant. Ces contrats peuvent être écrits ou tacites.
Mandatements.
Une telle société ne peut évidemment pas fonctionner sans entraide ni coopération volontaire. La délégation de responsabilité permettra de discuter au niveau fédéral.
Mais attention, entendons-nous sur les mots : pour les anarchistes, chaque délégué reçoit un mandat précis. L'assemblée qui l'a mandaté exerce un contrôle permanent sur son travail, et, surtout, peut le révoquer à tout moment si le travail qu'il effectue ne correspond pas à son mandat.
L'anarchisme est une proposition globale de société cherchant à promouvoir une civilisation réellement différente.
« Léo Ferré
L’anarchisme oppose le
principe de liberté au principe d'autorité,
l'entraide à la loi de la jungle, l'égalité à la discrimination.
"Aussi longtemps que la société sera basée sur l'autorité, les anarchistes
resteront en état perpétuel d'insurrection" (Elisée Reclus)
"L'ANARCHIE EST LA FORMULATION POLITIQUE DU DÉSESPOIR"
ou "Introduction à l'anarchie"[1]
par Léo FERRE
L'anarchie est la formulation politique du désespoir. L'anarchie n'est pas un fait de solitaire; le désespoir non plus. Ce sont les autres qui nous informent sur notre destinée. Ce sont les autres qui nous font, qui nous détruisent. Avec les autres on est un autre. Alors, nous détruisons les autres, et, ce faisant, c'est nous-mêmes que nous détruisons. Cela a été dit; il importe que cela soit redit. Le Christ, le péché, le malheur, le riche, le pauvre... nous vivons embrigadés dans des idées-mots. Nous sommes des conceptuels, des abstraits, rien. Une morale de l'anarchie ne peut se concevoir que dans le refus. C'est en refusant que nous créons. C'est en refusant que nous nous mettons dans une situation d'attente, et le taux d'agressivité que recèle notre prise de position, notre négativité est la mesure même de l'agressivité inverse : tout est fonction des pôles. Nous sommes de l'électricité consciente ou que nous croyons telle, cela devant nous suffire. Les postulats, les théorèmes, le quid éternel qui est notre condition d'homo curiosus, tout nous porte vers des solutions d'altérité à des problèmes que nous fabriquons. L'énoncé du problème est suspect par cela même qu'il s'exprime dans un langage conventionnel. Muller, au siècle dernier, s'inquiétait de savoir pourquoi le passé du verbe to love n'est le passé que dans le suffixe. Loved ... et le passé s'étale, dramatique. Ce n'est rien d'entendre dire : love; c'est un présent qui nous satisfait ou nous informe, simplement. Il suffit que la désinence entre dans le jeu pour que tout change, en dehors même du problème linguistique. Ce 'd' de loved suscite immédiatement le regret qui est de la révolte civilisée. Tout un potentiel d'irréversibilité s'inscrit dans cette lettre qui semble conventionnelle et qui n'est que le résultat d'une longue évolution phonétique tendant vers la simplicité, vers la clarté de la parole. La grammaire soumise, il reste cet outil, ce mot faisant du passé, fabriquant une conscience, des pensées, de la mélancolie, de l'histoire. Nous ne savons pas que les conventions, qu'elles soient linguistiques, morales, religieuses, économiques, nous enferment dans le "social" comme une toile invisible qui nous met en situation de faire quelque chose, de penser cette chose comme si de toute évidence elle était une création de notre volonté de faire et de penser, alors que nous sommes la mouche prise, réduite, par une araignée qui nous observe sans nous manger. L'homme est mangé par la société mais il se réinvente perpétuellement, par une sorte de connivence inconsciente qui fait de la victime l'élan vital de son bourreau. Sans crime, point de bourreau, pardi! Ce sont les juges qui fabriquent les délinquants. Comme le dit Sartre à propos de la trahison, la répression est un crime adventice, un crime au second degré qui ne saurait montrer son visage le premier, c'est pour cela que les sociétés sont répressives : elles tuent par délégation, en second lieu ou mieux, par ricochet. Elles tuent par la Morale, aussi tranchante, mais enfermée et garantie de par la procédure. La procédure est une façon mécano-graphique de tuer son prochain.
L'histoire de l'Humanité est une statistique de la contrainte. Je ne pense pas, dans nos modes habituels de penser, qu'il puisse y avoir une vie possible sans la contrainte. La Loi, quelle qu'elle soit - fût-elle la plus désintéressée - comprend toujours ce qui est en dehors d'elle, son contraire, l'anti-loi, ce qui est derrière la promulgation. Il y a dans la pensée du législateur des coins d'ombre où mûrissent les activités louches et nécessaires de la jurisprudence. Une loi contre la torture n'est pas une loi complète si elle ne prévoit pas la torture pour qui torture ...
"Pour un œil, deux yeux ... pour une dent, toute la gueule" disait Lénine, je crois, avec un sens troublant de la métaphysique de la vengeance et de ses intérêts composés ...
Ce qui saute aux yeux et à la gorge de l'homme c'est bien cette contrainte sans quoi la société ne pourrait subsister, et c'est bien de subsistance qu'il s'agit. Cette force contraignante qui me fait m'habiller aux mieux des canons de la mode contemporaine afin de ne point forcer le rire de ceux qui me regardent, en dit assez long sur l'accoutumance du citoyen à la règle du ça se fait, ça ne se fait pas. Ce qui me hante, c'est la contrainte et pourquoi je m'y donne. Montrez-moi donc un homme dans cet univers de matricule !
La destruction est un ordre inversé. C'est la négation du Bien social que j'analyse dans la grenade amorcée. Qu'est-ce que le Bien social sinon ce qu'aujourd'hui je définis comme étant le Mal, mon Mal, ce Mal qui me bâillonne, qui me soumet. Les gonds de la porte sautés, je rentre dans la Cité, des fleurs noires à la main, et on me lynche. J'entre avec mon Bien qui devient leur supplice, leur Mal par moi donné. Je suis devenu le diable. La contrainte est cette exonération de principe qui me justifie dans ma prudente obéissance, véritable image du civisme.
J'obéis, sans ordre. J'obéis,
parce que membre de cette société je m'ordonne de me taire. Il y a chez tout
domestique une heureuse disposition d'esprit qui le fait se plier sans casse
jamais. Les images contraignantes me sont projetées jour après jour selon des
normes acquises et tellement envahissantes d'admirables techniques que le
poste de réception qui me transmet les mots d'ordre est réglé pour le son et
pour la juste valeur des points, des lignes, par moi. J'ai cessé de penser par
moi. Chez moi, je pense ON. Le JE est défiguré par une grammaire nouvelle qui
me désapprend la solitude et le courage, celui qui me met à portée de voix de
la vraie vie s'est émasculé. J'ai coupé les plombs à mon courage. Je suis
noir. Dehors, si je le sortais indemne; il y a fort à parier qu'on me le
rapporterait avec un catalogue de pénalités. Nul droit privé, nul droit
public; ce sont des mots de doctrine. Il n'est qu'un droit : pénal. Rien ne va
plus dans l'obligation que je me mets sur le dos en signant au bas du contrat,
sans l'assortiment prévu de contraintes pécuniaires, si je ne m'oblige pas.
Pourquoi n'assure-t-on pas la contrainte ? Parce que la peine ne peut se
garantir. Elle est assumée de toute éternité. J'en suis l'artisan. Si je la
révoque, elle se retourne et me gifle. À genoux, je rythme la cadence des
coups qu'elle me porte, sous le charme, malgré tout, du délai et de la grâce.
Dans ce Bien, dans ce Mal, je me sens étranger. Je suis un forain de la
Morale. Si le Bien est femelle, le Mal laboure. Un troisième sexe m'importe
davantage et c'est peut-être cela, l'indifférence. L'indifférent s'est
dépossédé de son droit. Il n'invoque plus rien. Il regarde, le cas échéant, il
regarde le droit : signal d'alarme, rue barrée, conscience du fait social. Je
crois en une relativité juridique dès que j'ai sabordé les postulats fondant
la règle de droit. Nous sommes encore des romanistes. Le Code civil est un
traité pratique de droit romain revu par une séquelle révolutionnaire. Nous
ne sommes guère loin du sacramentum in rem, de l'in jure cessio, et des
formules du très ancien droit qui sanctionnait telle manigance juridique. On a
simplement dénigrifié les actions de la loi pour en arriver à cette
tartufferie jurisprudentielle qui saute de l'article 1382 à l'article 1384 et
qui inclut de la responsabilité dans une arche de béton, s'il le faut. La
responsabilité des choses a mis le risque dans la gueule du chien. Le maître
mord par procuration, et c'est cela la civilisation du droit : donner une
pensée à la matière inerte, mettre l'homme au ras de la chose, le
dépersonnaliser au point de transformer ce qu'une morale antique nommait la
faute en un risque latent. Le risque c'est de la faute antidatée.
De cette machinerie dont je suis le serf, de cette incessante ingérence de mes viscères, de mon sang, de mes nerfs, de cette prison définitive où l'on m'a mis - moi, mammifère bipède - je ne me libère que par des mots. Ma pensée, régie par mes humeurs, mon imagination qui se règle sur le déjà fait, le déjà vu, me sont une tromperie supplémentaire. Mon désespoir est un désespoir chimique. Je me meurs de mourir à chaque seconde. Je n'ai de salut que dans le refus, une tromperie de plus mais terriblement suractivante.
Je suis roi de ma douleur et c'est elle qui me soumet. Au fond, la douleur serait un plaisir, n'était la démangeaison qui me la met toujours en épigraphe. Sur le livre de notre vie, un mot plein, signifiant : "Souffre!"
Le chien qui crie, un homme qui gueule, rien ne les différencie. Je me sens particulièrement "chien" à mes heures de retrait du monde. D'ailleurs, je prends mes facultés de parole. Je ne me parle jamais. Je me chante. Je me mathématique. Je me nature. Je parlerai de cette grammaire qui nous a muselés depuis longtemps. Je ne puis supporter la faute d'orthographe. La règle, à ce point ancrée, est au-dessus de la règle. Elle est transcendée, dirait le philosophe ... Et la règle se surpassant devient "moi". La morale, d'où qu'elle émane, est bien près de cette autodictature. Ce ne sont pas les tyrans qui gouvernent. Le monde c'est de l'anarchie tempérée par des règlements de solitaires et quelques barèmes policiers.
La propriété ? C'est le mot qu'il faut changer. Je suis propriétaire de mon droit de revendiquer "cette" propriété, objet de ma convoitise et dont la sanction possessive ne s'en remet qu'à l'argent qu'il me faut pour en devenir le maître, à moins que je n'aie décidé de transgresser l'ordre établi et de m'emparer par la force ou par la ruse d'un bien que je considère, de toute éternité, comme devant m'appartenir. Et ce qui m'appartient, je peux le casser : c'est ça le droit de propriété, le droit de détruire ... ad libitum ! Le droit de propriété sur le Van Gogh que j'ai payé trois cent millions, ça n'est pas celui de le mettre à la banque en attendant les jours maigres, ça n'est pas non plus celui de le regarder tout seul, chez moi, en maugréant ou non sur les façons particulières que le peintre avait d'aller au bordel, le rasoir dans la poche et l'oreille aux aguets ... Non, mon véritable droit de propriété sur ce tableau est de pouvoir le brûler, dans ma cheminée, sur un bûcher d'indifférence, avec, dans l'œil et dans cette mémoire imaginée qui ne se trompe guère car les choses tournent en rond, les critiques d'art de l'époque qui n'ont rien vu du génie de Vincent. Or, moi, je vois et je suis devenu seul à "voir" dans cette pyromanie critique !
Je ne vois pas la pâtée de mon chien parce que je ne mange pas "chien". Ce n'est pas si sûr que ça, d'ailleurs. Dans le confort de mon salaire, de ma quinzaine, de ma paie, de mes émoluments, de mes honoraires (curieuse façon de multiplier le vocabulaire du fric ...), je ne regarde même pas le chien manger. C'est un monde qui m'indiffère. Moi, je suis un homme qui pense et qui mange du sauté de veau, du caviar frais ou du laitage, car le médecin me l'a recommandé. Mais ce système niveleur qui consisterait à me mettre à portée animale, à mesurer l'étendue, le territoire de la faim, de l'hydre jusqu'aux abonnés de la cantine communautaire, à souscrire au garde-manger des mouches tirées à quatre épingles sur la toile d'araignée en me disant : "C'est très bien, je "m'araigne", j'en ai encore pour quatre jours ...", cela, jamais, et pourtant ... Si je meurs de faim, je broute, je dure, je ne pense plus au manger "chien" ou "homme" mais il importe que je "tienne" parce que la société m'a identifié, elle m'a donné un nom, je suis le fils de quelqu'un. Ce n'est pas un droit, la filiation, c'est un état. Un chien qui vole reçoit un coup de pied. Si je vole un pain, on m'enferme. Mon travail donc me vaut de n'être pas aux fers. Il vaut mieux, des heures durant, planter des clous dans l'imbécile planning de la merde prolétarienne que de bayer aux corneilles et, le soir venu, tendre des filets aux "honnêtes" gens et puis aller faire des comptes au commissariat de police. Le contentieux correctionnel que j'évite me fait l'esclave de quelqu'un et, aujourd'hui, d'un être précis : la société anonyme. Je veux dire par là, non pas l'artifice juridique qui met le Capital dans une action cotée en Bourse, mais ces gueules multiples du trottoir et du métro, le Peuple, l'humus sur lequel pousse tous les quatre ou cinq ans ce qu'il est convenu d'appeler le suffrage universel ! Les gens que je ne vois n'existent pas. Si je ne suis pas un bandit c'est parce que le Peuple a voté pour qu'on invente le Procureur de la République. Le peuple, c'est le fourrier de la tyrannie.
Une psychanalyse de la patrimonialité commencerait par nommer : le droit se parle. Mon patrimoine ne saurait vaincre jamais les prétentions de l'État à me soumettre à ses vues d'expropriation ou l'appréhension d'un voisin arguant d'une servitude de mitoyenneté si je ne produis pas la preuve cadastrale de mon bien. Qu'est-ce que le Mien sinon une convention achetée ? Mon chêne à moi, mon chêne est centenaire. Une vue plus saine m'indiquerait qu'il est à celui qui l'a planté, au chêne père de la libre nature, au paysage dont il est un point mouvant dans la tempête ou statique dans l'été bleu. Qu'il est à lui-même, enfin ! Mon rein est à moi ...
Cette parole qui m'enchaîne au droit patrimonial est une parole de circonstance, une parole admise, écrite au bas de l'acte notarié et transcrite sur le registre des hypothèques, autre certitude d 'authenticité. Le mot est lâché : "authentique". Je m'en remets au parchemin, à l'écriture serve de cette parole inventée par le jeu social.
Nous jouons à nous barricader dans les mots de possession : ma maison, ma femme, mon stylo, ton droit, son chien, Karl Marx n'a pas assez médité sur la conjugaison possessive, la seule à ne jamais craindre les fautes d'orthographe, la conjugaison du mien et du tien. Toute l'Économie Politique repose sur un geste : la main qui livre, la main qui prend. Les théories sont en marge et n'expliquent qu'une certaine psychologie dans la détente de la production. Les macrodécisions ont des doigts d'acier. Le sien reste plus objectif : le sien est une parole d'attente. Le sien est un bien ignoré du bourgeois et en vitrine pour le gangster. En dehors des normes juridiques - et, singulièrement, des contraintes pénales - le sien perd de son objectivité : il peut devenir mien ou tien. C'est dans une telle perspective langagière qu'il convient d'étudier la psychologie du voleur. Le voleur, sorti du chemin légal, ne prend qu'un bien vacant, et qui est vacant à l'heure de la technique, au moment où l'attirail du fric-frac est mis en œuvre, au moment du "guet" - ce qui est un travail dur et précis, au même titre qu'un travail sur un objet manufacturé. Le voleur ne prend pas "ses" risques. Il assume sa condition de voleur : il a contre lui la loi et, pour lui, l'anti-loi c'est-à-dire sa loi propre. Il est significatif que cette loi dite "du milieu" qu'un romantisme sommaire a reléguée dans la mythologie du film policier soit en réalité une façon marginale de dire le droit, aussi, ou plutôt de dire l'anti-droit. Dans le cas précis du "milieu", le code d'honneur est un code du silence. Celui qui parle, qui se met "à table" est passé de l'autre côté. La trahison lui a servi de support pour rentrer dans le rang. Et le rang, c'est une façon d'attendre les décorations ou le règlement de comptes. Au fond, la trahison est une morale du bien-être social, et le bourgeois trahit par omission.
Sans situation juridique il n'y a pas de droit. Sans mot pour le nommer il n'y
a pas d'arbre. Nous faisons nos chaînes : par la règle, par les mots.
J'entends par mot - cela va de soit - l'immédiat concept qui me rive au
discours intérieur. Sans le mot "arbre" toute une tranche de ma connaissance
s'évanouit : je ne vois plus de forêts, je ne sais plus m'y promener, je perd
le feu et, perdant le feu, mon sang se fige, je suis perdu à tout jamais.
J'entends bien le désespoir me sonner dans la brume de cette constatation. Je
ne parle plus. Je ne vois plus les nids, le recommencement total à chaque fois
des mêmes vols, des mêmes cris, des mêmes chants. Sans arbre, où se nicheront
les oiseaux ? Quand je les vois voler, pourquoi ne puis-je plus penser au
mouvement des ailes, à cette géométrie apprise et que je retrouve dans le vol
du corbeau, encore que, croassant, il inquiète les données magiques, apprises
elles aussi ?
Quand je vois un corbeau, je retrouve Poë et, ce faisant, les fiches psychanalytiques de Marie Bonaparte, et je me demande quel est celui de deux qu'il fallait mettre à la question. Le corbeau est devenu, pour moi, un fait littéraire et c'est cela que je nomme le désespoir. Je ne sais plus voir le corvidé. Je vois une forme allusive du destin et sa résonance littéraire ou poétique : trois coups portés à la vitre.
L'anarchie, cela vient du dedans. Il n'y a pas de modèle d'anarchie, aucune définition non plus. Définir, c'est s'avouer vaincu d'avance. Définir, c'est arrêter le train qui roule dans la nuit quand il s'écartèle à l'aiguillage. Autant dire qu'on est pressé d'en finir avec l'intelligence de l'événement. C'est par son inaptitude foncière à ne savoir rien définir que l'homme piaffe dans les remarques et la philosophie. Un train à l'aiguillage, c'est un devoir bien fait,
C'est de la route honnêtement vendue à moi, passager, acheteur de cette ligne de nuit qui me conduit à X en passant par l'aiguillage Y, bretelle nécessaire mais dont j'ignore la raison déviationniste. On ne me dévie pas de ma route, on me la rend parfaite et sûre. Moi, je ne pense qu'au bruit d'enfer et la peur m'envahit. Je définis l'aiguillage par rapport à mon problème de solitaire roulant. Si je pense au bloc dispensateur de voie libre, j'y pense en imaginant l'homme aux manettes et à la possibilité d'une fausse manœuvre. Je ne donne pas la définition de l'ingénieur, je ne vois pas la route en coupe où je risquerais de comprendre techniquement la croisée des rails. Je ne sais pas qu'après mon passage - et il est bien question de MON et non pas d'une donnée objective et chiffrée par le trafic - cette soupape se fermera, des bras de fer illuminés de vert se mettront en garde, pour laisser glisser vers un point X, mon semblable, ce "prochain" de la gare que j'ai vu naguère sur le quai, hélant un porteur et s'installant dans le train suiveur, à cinq minutes, ce train suiveur qui me court aux fesses - et j'y pense - et qui trouvera la route libre sur ce chiffre de fer tordu, objet de mon ressentiment. Il n'y a pas que moi dans le monde des trains. Et pourtant, c'est cela qui me retire tout à fait du monde à ce moment précis où - contre toute évidence - je me crois seul, fait comme un rat dans ce véhicule qui, au dépôt, n'est jamais qu'une abstraction de plus fuyant dans la nuit. Dans cette solitude du muscle, je ne me connais et ne me reconnais aucun maître, et voilà que je suis contraint de me solidariser avec le rail, le rail de mon inquiétude et le rail des autres, de tous les autres. J'ai le moyen de m'immoler à cette peur et je n'en ai qu'un, immédiat, auquel je n'ose me rapporter : le signal d'alarme, car au-delà de cette poignée que je crois être de sécurité, il y a un tarif de pénalité, ce nivellement de l'autonomie, un simple avis qui me muselle.
Ainsi de l'homme en société : il n'ose jamais tirer le signal, garant de sociabilité.
Le mot "seul" est chargé de brume, c'est une parole de réflexion, de lumière réfléchie, noire, à peine valide. C'est dans le "seul" que je me retrouve chaque soir après la pause des travaux journaliers et divertissants.
Dans la rue, le solitaire est agréé par l'identique, par le monsieur qui marche au-devant et qui lui réfléchit cette lumière particulière qui fait d'un dos commun, courbé, le propre dos du suiveur, de l'attente. Cette solitude viscérale est à la portée de toutes les consciences. Qui n'a dit qu'il se sentait seul dans une foule ? Cliché piteux qui fait de cette foule un creuset de misère mentale. Aussitôt embrigadé, aussitôt muselé, défenestré, tapi dans le lieu commun politique. Il faut des lieux communs aux tyrans qui s'essuient sur le multiple de la sottise.
Les tyrans, ce jour, ont beau jeu. Politiquement, la solitude est un non-sens. Il n'y a même pas de quoi faire un solitaire dans l'arsenal démocratique. L'isoloir est une place publique. Cette psychologie du vote secret est un rejet de la confession. On se confesse à un bulletin. L'isoloir, vespasienne sèche, ce couvent du socialisme à l'heure apéritive ... J'enrage à la pensée que des hommes acceptent de s'isoler administrativement autrement que pour uriner. La souveraineté nationale à ce point traquée dans un cabinet municipal, cela monte du fond de mon cœur comme une nausée de principe.
Les idées qui sentent, je ne sais rien de plus définitif dans notre condition de Peuple-Roi.
[1] Editorial du "Monde Libertaire" de janvier 1968. Repris in "Testament phonographe" et in "La mauvaise graine". "L'anarchia", traduction en italien publiée in "Il cantore dell'immaginario".
Une voix sans maître !
Léo Ferré est un rêve éveillé que l'on fait en se tenant debout
J'ai "rencontré" Léo Ferré avant qu'il n'accède à la célébrité, voire à la… notoriété (même si cette notoriété fut celle du "provocateur" du "fou du roi", du "clown"… de service). Ce fut un véritable "coup de foudre" qui n'a cessé et ne cesse encore de se reproduire à chaque fois que je l'écoute ou le lis.
Pour moi, Léo Ferré est l'un de ces 'trop) rares albatros qui, de loin en loin et, pourtant, si près, guident les navires perdus vers une île lointaine dont on sait qu'elle est un éden alors même qu'on ne l'accostera jamais, justement parce qu'elle est paradisiaque.
Léo Ferré ne nourrit pas, ne donne pas, n'enseigne pas… ; il apprend à chasser dans la galaxie du rêve, de l'imagination, des désirs…, à (re)prendre de ses mains, de son cœur, de ses tripes, de sa raison… ce dont ont pensait ne pas avoir besoin ou envie parce que, tout simplement, on en ignorait ou avait désappris l'existence, à apprendre l'indicible, l'inaudible… dans une langue qui n'est pas celle de l'ordre mais de soi et, par conséquent, de l'autre, de tous les autres…
Léo Ferré est un rêve éveillé que l'on fait en se tenant debout arc-bouté sur sa révolte.
Il est une porte que l'on fracasse pour qu'il n'y ait plus de portes, de murs, de fenêtres,… de prisons. Il est une voix sans maître qui ne cesse de gueuler pour que l'on puisse parler. Il est un maelström de mots qui, s'entrechoquant, se confrontant, s'opposant parfois, inventent d'autres mots et font que du désespoir naît l'espoir. Il est un drapeau, noir de révolte, qui claque dans la nuit de l'oppression au vent des coups de gueule et de poings, non pour annoncer mais pour dénoncer et pour rappeler : la révolte est un devoir. Qui ne se révolte pas est condamné à mourir du renoncement à soi. Qui n'est pas révolté n'est plus humain mais… esclave.
Léo Ferré… ni dieu, ni maître : un homme. Simplement un homme. Un homme qui continue d'exister par ses textes et sa musique. Juste pour rappeler que, même s'il n'y en a pas un sur cent, un anar… cela existe ! Que l'anarchisme est increvable parce qu'il y aura toujours des anars.
Que l'anarchie sera parce que les anars veulent que l'humanité soit. Enfin !
«JC
Oser et comprendre la pensée libertaire…
Dans son oeuvre, Léo Ferré fait
constamment référence à l'anarchie. S'il est bien évident que chaque
anarchiste possède sa propre interprétation du concept, il n'est pas
inutile de préciser ici
les bases communément admises qui rassemblent tous les anarchistes
La pensée libertaire englobe un projet de société différent de tous les modèles connus jusqu'à présent.
Alors, l'anarchie, c'est quoi?
C’est l’état d'un peuple, et plus exactement encore, d'un milieu social sans gouvernement. Hormis les anarchistes, tous les philosophes, tous les moralistes, tous les sociologues, y compris les théoriciens démocrates et les doctrinaires socialistes, affirment qu'en l'absence d'un gouvernement, d'une législation et d'une répression qui assure le respect de la loi et sévit contre toute infraction à celle-ci, il ne peut y avoir que désordre et criminalité. Les anarchistes affirment que "l'anarchie est la plus haute expression de l'ordre".