Nuit de pâques


La nuit passée, six ou sept gamins de rue se sont bien défoulés sur ce qu’ils croient être leur ennemi. En deux mi­nutes, la messe était dite. La douleur est toujours là. La rancœur, je ne sais pas; probablement pas envers qui on aurait pu s’attendre.

L’un d’eux était sans doute un de mes anciens élèves, ou un proche de l’un d’eux. Le « prof d’histoire » qui a « fait doubler » certains élèves devait « assumer ». J’ai bien exercé cette fonc­tion de professeur d’histoire, c’est vrai. Je n’ai fait doubler personne, car un prof ne fait pas doubler; il constate une défaillance. Je n’ai pas l’intention d’assumer, notamment parce que cela fait maintenant plusieurs mois que, écœuré, j’ai renoncé à ce qui reste un beau métier, presque impossible à exercer. Leurs « justifications » n’avaient pas de sens, du moins en apparence.

Car je sais (certains diront que je crois savoir) ce que cache ce qui m’est ar­rivé, et c’est pour cela que je ne porte­rai pas plainte. Celui qui s’est fait taper dessus, avec violence et sans qu’il y ait eu intention de voler quel­que chose, c’est le rouage d’un sys­tème. Bien malgré moi, je suis le re­présentant d’une société qui, sclérosée, odieuse, hypocrite, pauvre d’humanisme et de solidarité, abreuve ses perdants d’images de réussite et de consumérisme, d’un côté, et, de l’autre, interdit (pas en droit, mais en fait) à toute une frange de sa popula­tion d’accéder légalement aux faux rêves qu’elle lui inculque. Et cette frange lui sert de matelas, bien confortable, pour justifier, encore et encore, plus de pognon à la sécurité, à la magistrature, moins de moyens à la solidarité.

Cette nuit, les gars, vous vous l’êtes fait, le prof d’histoire. Vous ne l’avez pas tué et, merde aux cons, vous ne l’avez pas transformé en facho pro sécuritaire comme certains l’espèrent. Non. Je ne désire pas le revivre, non, mais cette nuit, j’ai simplement pris dans la gueule l’argument qui justifie ma lutte contre cette monstrueuse société antidémocratique et débilitante dans laquelle certains exploitent et d’autres saignent et se sentent obligés de faire saigner. Je refuse le jeu des J.T. alarmistes et des manchettes ra­cistes et malsaines de certains journa­listes. Je refuse de me joindre au chœur des partis sans imagination qui pensent trouver la solution dans le système carcéral et dans la jungle ré­pressive.

De même que, par erreur, ils n’ont identifié en moi qu’une pièce vulnéra­ble de ce qu’ils estiment être la cause de leur condition, je refuse de m’attaquer à eux, comme on s’attaque stupidement à une fièvre sans en faire disparaître les causes. Ces causes que sont les inégalités sociales et les frus­trations nées de la négation de toute autre idéologie que celle de la consommation. Je devrais peut-être me battre sur les deux plans, comme un ami me l’a conseillé, mais, pour marquer le coup, je refuse de faire entrer ma pauvre aventure dans les statistiques qui alimenteront les pro­chaines revendications pourries du « tout au répressif ».

«   Thierry


 

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