Premier mai. La Fête des
travailleurs. Ceux-là mêmes que les uns courtisent, que les autres grugent.
Premier mai, fête d’un socialisme mis à toutes les sauces : au jus réformiste
du Parti Socialiste dont l’objectif n’est plus de renverser le
capitalisme mais de le gérer; et au jus stalinien du PTB où s’ébat le
fantasme effrayant de la dictature du prolétariat comme prologue au
« paradis » sur terre. Et dans tout ça, quelle est-elle la
proposition des anars ? C’est celle synthétisée clairement dans les
pages choisies d’Ernestan (1898-1954).
« Tant par les
voies réformistes et légales que par la violence dictatoriale, le socialisme
autoritaire a donné sa mesure. Non seulement il aboutit pratiquement à de
désastreuses faillites, mais, chose plus grave, ce qu’il présente
aujourd’hui au prolétariat comme « socialisme » s’avère
impuissant à l’émouvoir jusqu’à la révolte consciente. […]
La
grande, l’immense illusion, fut de croire à la construction du
socialisme par décrets d’État. En voulant arriver au socialisme par la
force du pouvoir politique, on se résout à l’emploi de moyens qui détournent
du but à atteindre et sont la négation du socialisme. Ainsi, en perdant le
sens de la liberté, le socialisme a tout perdu, car il ne pourra être
construit que par l’action directe et permanente du prolétariat, libéré
du capitalisme et de toute domination politique.
C’est ce principe et
cette pratique essentielle du socialisme que nous défendons, en prenant
le titre de « socialisme libertaire ». Il n’est pas nécessaire
d’insister beaucoup sur la position de cette tendance. Si elle semble
nouvelle par l’appellation, en réalité elle est aussi ancienne que le
socialisme lui –même, elle EST le socialisme et notre appellation n’a
de valeur que par opposition aux socialismes dégénérés et falsifiés des
autoritaires.
Le socialisme
libertaire n’est donc pas une vague idéologie qui défend une conception métaphysique
et abstraite de la liberté, mais, comme son nom l’indique, une conception
du socialisme dont le principe de liberté est idéologiquement et
pratiquement inséparable.
C’est pourquoi, en
dehors de la volonté librement issue de l’association des travailleurs,
les socialistes libertaires ne reconnaissent aucun droit, aucune loi,
aucun pouvoir. Ils ne sont pas dupes des sophismes sur la dictature des élites,
ni des mensonges de État ou du demi-État prétendûment prolétariens et
transitoires. La mission des libertaires est de les combattre avec une égale
énergie, parce qu’ils savent que quelle que soit sa forme ou son masque,
l’autorité politique fait inévitablement obstacle au développement du
socialisme.
D’une façon plus
pratiquement comprise, le socialisme libertaire est L’APPLICATION
RIGOUREUSE, INTEGRALE ET DIRECTE DE LA DEMOCRATIE OUVRIERE (étant entendu
qu’au lendemain du capitalisme, le travail personnel étant l’unique
moyen de vivre, tous les individus sont, au sens large du mot, des
ouvriers).
A propos de démocratie,
il est indispensable de dégager ce terme de la confusion qui le déforme et
de la boue dans laquelle il fut traîné. Sans entrer dans de longues
dissertations historiques, l’on peut dire que, dans le passé, « démocratie »
(Démos — Peuple; Kratos — Pouvoir) fut compris dans le sens
d’INTERVENTION de l’opinion populaire dans la direction de État, c’est-à-dire
dans le cadre du pouvoir politique d’une classe ou d’une fraction. La
volonté du peuple ne pouvait s’exprimer et intervenir que sur des points
secondaires et sans toucher aux bases du régime. En d’autres termes encore,
le peuple avait le droit de discuter avec ses maîtres, ou, tout au plus, de
les choisir.
Notre conception de la
démocratie est absolument opposée à ces méthodes. Nous la comprenons
dans son sens complet, n’acceptant aucun pouvoir intermédiaire entre la
volonté ouvrière et son application.
Quant à la pratique
de cette démocratie, il faudrait, pour en prévoir toutes les formes
d’application, connaître dès maintenant tous les facteurs qui
conditionneront la révolution et la construction socialistes. Nous
n’apporterons donc aucun plan détaillé de société future, ni rien qui
ressemble à un prospectus électoral. Cependant, afin de satisfaire quelques
impatiences légitimes et éviter le reproche de dérobade, nous indiquerons
schématiquement les formes d’organisation par lesquelles la démocratie
ouvrière pourra s’exprimer et fonctionner.
1°) Au point de vue
économique :
Les syndicats.
Ceux-ci formeront, au
sein de leurs organisations de base, des conseils de délégués,
administrateurs, techniciens, etc., ayant à charge de coordonner la
production.
2°) Au point de vue
social en général :
Les organisations
communales fédérées.
Ces organisations sont
constituées à la base par la population ouvrière d’une commune (une
commune est une portion d’individus vivant dans ou autour d’un centre
plus ou moins étendu : ville, village, quartier, faubourg, etc.). Cette
population nomme des délégations ou conseils communaux; ces conseils fédérés
régionalement, nationalement, et si possible, internationalement, forment
la structure administrative.
Il est bien évident
que les organismes de direction économique : les syndicats et les
organismes de direction sociale : les fédérations de communes seront,
par des formes adéquates, reliés et fusionnés. Les travailleurs seront
d’ailleurs simultanément membres de leur syndicat et de leur commune.
Indépendamment de
cette armature sociale, le peuple de travailleurs pourra constituer spontanément
et librement une infinité de groupements, associations, unions, ententes,
cercles et fédérations, poursuivant des buts d’étude, d’art, de culture
générale ou spéciale, etc.
Ce bref schéma reste
cependant sans signification profonde si l’on n’insiste pas sur le caractère
de la vie qui circulera dans ces cadres. D’un bout à l’autre, et dans
toutes ses manifestations, le mouvement économique et social sera sous
l’impulsion et le contrôle permanent des travailleurs organisés. Chaque
mandataire, chaque délégué sera désigné par les intéressés directs, son
mandat purement exécutif, limité et précis, sera contrôlé, et sa
responsabilité engagée. Sans pouvoir fixer aux diverses fonctions une durée
uniforme, le principe de l’amovibilité sera appliqué dans la plus grande
mesure. […]
Est-ce à dire que
nous considérons la démocratie ouvrière intégrale comme un système
infaillible dont l’avènement transformerait le monde, comme par
enchantement en un éden socialiste ? Non.
Le chemin du
socialisme par la démocratie ouvrière est semé de difficultés de toute
nature, mais c’est le nôtre, PARCE QUE C’EST LE SEUL.
Il appartient aux
libertaires […] d’organiser la société de manière à permettre le développement
et le progrès du socialisme. Il appartiendra aux hommes de l’avenir
d’accentuer ce progrès jusqu’aux réalisations que nous sommes incapables
de seulement concevoir ».