En février,
trois cent mille personnes se sont assemblées à Barcelone pour exprimer leur
oppositions aux objectifs du conseil européen qui devait se tenir dans cette
ville. « Non à l’Europe du capital! Une autre Europe est possible! »
Quelle belle foule et quelle grande fête!
Suite aux
rapports de force de Gènes, Göteborg et Prague, les organisateurs de
l’antimondialisation n’ont toutefois plus cherché à empêcher la tenue du
conseil. Alors, pendant que la manif se déroulait sans violence, le conseil
s’est lui aussi tenu sans encombre, et sans écoute envers les trois cent
mille citoyens assemblés là tout près.
Les
ministres des quinze y ont discuté de
l’âge de la retraite, des fonds de pension, de la libéralisation des services
publics, de la politique salariale et de la flexibilité du travail. Le
Financial Times note crûment: Le résultat
le plus encourageant est que l’UE va toujours dans la bonne direction. Malgré
les exigences des syndicats, on ne voit aucun indice du retour à un programme
de réglementation sociale et d’harmonisation fiscale.
Deux
points sont susceptibles d’un commentaire: l’âge de la retraite et la libéralisation
des services publics.
Les
lobbies patronaux ont imparti aux ministres quelques années pour le mettre à
70 ans. Dans leur jargon, cela donne: Il
faudra chercher d’ici 2010 à augmenter progressivement d’environ cinq ans
l’âge moyen effectif auquel cesse, dans l’UE, l’activité professionnelle.
Des progrès à cet égard seront examinés chaque année devant le conseil
européen de printemps.
Or, en
Belgique, le Bureau du plan vient tout juste de nous démontrer que le papy-boom
sera un phénomène neutre au niveau budgétaire, parce que, si les vieux ont
besoins de pensions, par contre ils n’ont pas besoin d’enseignement
gratuit, et donc, ce qu’on perd d’un côté, on peut le récupérer de
l’autre.
Remarquez:
avec un nom pareil et des rapports comme celui-là, on se demande comment fait
cet organisme pour survivre.
C’est
dire que l’augmentation de l’âge de la retraite, voulue par les lobbies
patronaux, n’a rien à voir avec la sauvegarde des pensions. D’ailleurs,
reculer le droit à la pension jusqu’à l’âge où environ la moitié de ses
titulaires ne sont déjà plus de ce monde, ce n’est guère le sauvegarder.
Cette
mesure est donc destinée à deux objectifs fort étrangers au bien commun.
D’une part, elle va peut-être encore un peu durcir la concurrence entre les
travailleurs dans le grand panier de crabes qu’on appelle le marché de
l’emploi. D’autre part et surtout : réduire les sexagénaires à
vivoter entre du chômage, des p’tits boulots partiels qui ne remettent
jamais le compteur du chômage en première période, et des mutuelles sévères
capables de guetter les rémissions entre deux poussées de maladie évolutive
pour renvoyer le plus possible de monde au chômage… voilà qui permettra
aux pouvoirs publics de tenir le budget des États non pas en équilibre, mais
en bonus, pour en dégager des cadeaux supplémentaires aux entreprises et à
leurs actionnaires, sous la forme de réduction des cotisations sociales
patronales et des impôts sur les sociétés.
Déjà,
les médias nous poussent au cul. Le Vif de fin mars 2002 publie dûment sa
p’tite bafouille à ce sujet. Emploi des
seniors: la Belgique patine!
On y lit:
c’est essentiellement l’emploi des
plus de 55 ans qui transforme la Belgique en cancre: à peine un quart d’entre
eux sont encore au travail, alors qu’ils sont 37,5% ailleurs dans l’Union
Européenne et que l’objectif fixé pour 2010 est de 50%. Pour remédier à
cette situation, le Conseil supérieur de l’emploi préconise de développer
la formation, de réintégrer les inactifs et les demandeurs d’emploi sur le
marché du travail, de faciliter l’harmonisation entre la vie privée et la
vie professionnelle et de prolonger la vie active. « Cancre »,
la Belgique? De quel professeur est-ce le mauvais élève? Du Conseil supérieur
de l’emploi, c’est-à-dire des patrons.
Prolonger
la vie active: on en est encore
aux euphémismes. Quand est-ce que le Vif nous balancera sur des doubles pages
que l’âge de la retraite va être mis à septante ans, et que les vieux
adorent cela parce que cela leur donne une raison d’exister ? A en juger
par l’histoire récente du backclash libéral, cela pourrait arriver plus
vite qu’on ne le pense, et on sera toujours surpris de voir combien sont les
lecteurs à tomber lourdement dans le panneau.
A
Barcelone, les ministres des quinze se sont aussi entendus annoncer qu’il faut
« libéraliser » le gaz et l’électricité. Exigences initiales de la présidence espagnole et de la Commission:
libéralisation complète pour tous les usagers (entreprises et ménages) en
2003 pour l’électricité et en 2004 pour le gaz. Il faut faire comme le
rail anglais: éclater le patrimoine entre différentes entreprises privées
dont certaines en tirent une rente qui leur est servie par d’autres qui le
louent et l’exploitent.
Or,
Monsieur AZNAR, président espagnol et président du Conseil européen, s’est bien gardé d’évoquer la situation de son propre pays. Cinq
Pareil en
Californie: pannes de courant de longue
durée affectant jusqu’à la sacro-sainte Silicon Valley, augmentation des
tarifs de 500 à 1000%, ponction du contribuable à hauteur de 20 milliards de
dollars (auxquels pourraient s’ajouter 43 milliards supplémentaires) pour
financer des contrats que État a dû passer en catastrophe pour pallier les
carences du secteur privé... Le commissaire californien à la régulation
de l’électricité en dit: Il est évident
que personne ne devrait suivre l’exemple de la libéralisation en
Califormie. Il s’est révélé désastreux sur tous les plans. (...) La
situation actuelle est le chaos. » Or, on a agi de la même manière au
Royaume-Uni et en Australie, avec des résultats identiques.
Mince
alors, et le gaz là-dedans, ne va-t-il pas se mettre à exploser un petit peu
de ci de là? Car le problème est toujours le même: courant à l’argent
facile, ces entreprises perdent de vue le renouvellement du matériel, les
conditions de travail de leurs agents, la sécurité, ce qui multiplie les
incidents techniques et les erreurs humaines. Prenant les usagers en otages,
elles contraignent finalement les États injecter dans le système, aux frais
des contribuables, autant de subsides ou même plus que du temps où ces secteurs
de l’économie étaient nationalisés. Même si une de ces firmes cassait
son propre matériel, État viendrait le lui réparer. Alors, pourquoi se gêner?
«
Cécily
D’après: Le Vif 20ème année n°13;
le Monde Diplo Avril 2002.