En janvier 2002, on me remettait un petit dossier sur les derniers développements de l’enquête DUTROUX. En le lisant, j’appris ou je crus apprendre que le procès de DUTROUX, LELIEVRE et MARTIN serait pour tout bientôt...
Ce dossier racontait que, fin 2000, le
procureur BOURLET, mécontent du manque flagrant de curiosité du juge
d’instruction LANGLOIS, avait déposé une requête devant la Chambre des
mises en accusation. Il demandait à cette juridiction d’ordonner des devoirs
d’enquête auxquels Monsieur LANGLOIS se refusait. Parmi ceux-ci, il y avait
l’analyse de tous les cheveux saisis dans la cache où avaient vécu Sabine
et Laetitia, ce qui pourrait déterminer quelles autres fillettes avaient
habité la cache. Pourquoi Monsieur LANGLOIS ne voulait-il pas les faire
expertiser? Pour bien des raisons... un peu tirées par les cheveux. Aussi
Monsieur BOURLET saisit-il la juridiction compétente pour contrôler le
travail de Monsieur LANGLOIS et décider des choses à sa place.
Le 22 février, Monsieur BOURLET plaida
à l’audience de la Chambre des mises, et ne demanda pas seulement que ces
cheveux soient analysés. Il y évoqua encore trente et une autres pistes,
notamment de celles que CONNEROTTE et lui avaient soulevées en
septembre-octobre 96, mais que LANGLOIS, succédant à CONNEROTTE, n’avait
pas jugées à propos d’approfondir durant les quatre années de sa
charge.
Les magistrats de la Chambre des mises
écoutèrent poliment Monsieur BOURLET, reçurent son mémoire méticuleusement
argumenté, et puis, il fallut attendre. Durant le printemps et l’été
2001, ils convoquèrent LANGLOIS cinq fois. Ils ne convoquèrent plus
BOURLET. Enfin, le 22 octobre 2001, la Chambre des mises rendit son arrêt.
La procureure générale Anne Thily
l’annonça comme « une solution qui donnerait satisfaction à tout le
monde ». Bof...
La Cour « constate que le déroulement
de l’instruction ne révèle pas, en l’état actuel de la cause et en
fonction de sa complexité, de retard anormal. » La Cour « constate
que le juge d’instruction a répondu de manière adéquate aux observations
du Procureur général. » Mais, secret de l’instruction oblige, on
ne sait pas quelles ont été ces observations ni ce que la Chambre des mises
y a répondu.
Par ailleurs, la cour se préoccupe
beaucoup de la longueur de l’enquête. En vertu des droits de l’être
humain, tous les inculpés doivent être jugés dans un délai raisonnable.
N’est-on pas en train de le dépasser? Si bien sûr, le « délai raisonnable
est sur le point d’expirer » estime Madame THILY. Aussi, on fixe au
procureur BOURLET un délai : pour le trente et un janvier 2001 au plus
tard, il devra avoir décidé qui des inculpés (DUTROUX, MARTIN, LELIEVRE,
NIHOUL, PINON, DIAKOSTAVRINOS, ZICOT...) sera envoyé au procès d’assises
et pour quels faits. Beau casse-tête pour Monsieur BOURLET, étant donné
qu’en quatre ans d’enquête, le juge LANGLOIS, très économe de ses
pouvoirs, a refusé d’autoriser quantité de perquisitions et de recherches
et n’est parvenu à rien éclaircir de la manière dont Julie et Mélissa,
An et Eefje ont été enlevées, violées, tuées : ni quand, ni par
qui.
Dans l’état actuel de l’enquête,
tous les suspects risquent donc d’être acquittés au bénéfice du
doute si BOURLET les accuse du meurtre des quatre fillettes. DUTROUX, NIHOUL
et LELIEVRE pourront être condamnés pour l’enlèvement et la séquestration
de Sabine et Laetitia, et c’est tout.
Voilà qui rappelle, mutatis mutandis, qu’AL CAPONE ne fut jamais mis à l’ombre
que pour fraude fiscale.
Il faut donc vite replonger dans
« les dossiers X » en vue de faire savoir au lecteur d’AL le décalage
qui existera certainement entre les débats en cour d’assises et le début
prometteur de l’enquête, lorsqu’elle se déroulait sous la houlette de
Messieurs CONEROTTE et BOURLET, ainsi que d’une équipe de gendarmes et
de policiers dont les changements ultérieurs de composition ont aussi jalonné
l’enlisement de l’enquête.
Je me souviens de Monsieur BOURLET annonçant
à la radio qu’il irait jusqu’au bout, « si on me laisse faire ».
Branle-bas de combat chez les journalistes : il y aurait donc un risque
qu’on ne le laisse pas faire! Eh bien, en quatre ans, on a bien laissé
faire Monsieur BOURLET, mais on n’a laissé faire personne autour de lui, ce
qui est revenu au même que de ne pas le laisser faire.
J’étais donc en pleine relecture (si
j’ose dire) de toute l’histoire DUTROUX, NIHOUL et autres X, lorsque éclata
une petite affaire.
Début janvier, le sénateur VLD
DEDECKER obtint du Ministre de la justice Marc VERWILGHEN l’autorisation
d’aller visiter DUTROUX dans sa prison. Il ne fit ni une, ni deux :
il lui fit un enfant dans le dos. Il se rendit à la prison avec un
accompagnateur qu’il fit passer pour son chauffeur. Polis, les policiers de
garde laissèrent entrer les deux VIP sans contrôle d’identité ni même aucun
passage par le portique détecteur de métaux. En réalité, ledit chauffeur
n’était autre que le journaliste de la chaîne privée VTM, Dan VAN
HEMELDONCK, muni d’un petit enregistreur.
L’interview de DUTROUX fit la une du
journal de VTM le lundi 18 janvier, avant d’être diffusée in extenso dans
l’émission Telefacts de VTM du 21 janvier. Pas moins d’un million de
Flamands assistèrent à cette émission.
Peut-être que Monsieur DEDECKER se
souvenait de la présidence brillante et engagée de Monsieur VERWILGHEN,
quand il n’était pas encore ministre, à la commission parlementaire qui
confirma l’existence des faits d’étouffement de l’enquête et établit
certaines responsabilités. Monsieur DEDECKER crut que Monsieur VERWILGHEN
lui pardonnerait sa manœuvre. Bien au contraire, il se fit littéralement
engueuler par le Ministre de la justice en plein parlement, blâmer par
son parti, et il paraît que les représailles ne sont pas terminées.
Parallèlement à ces débats parlementaire,
a lieu sur la partie droite du site d’Indymedia toute une campagne de dénigrement
aussi stupide que véhémente à l’égard de la chaîne VTM, au motif
qu’elle a réalisé là une opération juteuse et bassement commerciale au mépris
de sacro-saintes règles de déontologie journalistique. Dans De Morgen,
Douglas DE CONINCK, journaliste au Morgen et co-auteur de l’ouvrage
« les dossiers X », reprend pour VTM. Au fond dit-il, quels que
soient les motivations de ceux qui ont réalisé ce scoop, il a le mérite
de remettre l’affaire DUTROUX à l’ordre du jour. Oui mais, lui répond-on,
rien ne justifie tant de liberté prise avec la déontologie de la profession.
On ajoute aussi, sans rire, que la supercherie de VAN HEMELDONCK anéantit
des années de collaboration amicale entre les journalistes et l’appareil
judiciaire. Et tout cela pourquoi, dit-on : cette interview est vide
d’informations nouvelles et DUTROUX ne fait que s’y lamenter!
Voire. Souvenez-vous d’une des dernières
apparitions de DUTROUX avant cette interview. C’était il y a plusieurs années.
Il était entouré de flics et malgré la distance à laquelle les
journalistes étaient tenus, on l’entendaient crier à leur intention :
« Je veux parler! Je veux parler! » Eh bien en ce mois de janvier,
toujours aussi fâché sur ses anciennes relations d’affaires, il promet
qu’un jour il en dira davantage sur les ramifications et la clientèle de
son réseau.
Il n’en dit guère plus. Ce n’est
pas bien fracassant. Pourtant, précisément à ce moment, on apprend, notamment
via la revue française Marianne, que ce n’est plus du tout une priorité
de l’envoyer en cour d’assises le plus vite possible avec ses comparses.
Bien au contraire, à présent, on nous annonce que le procès d’assises
n’aura pas lieu avant 2003. Exit le souci de respecter le « délai
raisonnable »...
Et pourquoi donc, si ce n’est parce
que DUTROUX ne connaît pas encore bien sa leçon de prédateur isolé?
Dire que ce report laisse du bois de
rallonge au procureur BOURLET, ce serait faire preuve d’un optimisme exagéré,
vu que la procureure générale THILY et la Chambre des mises en accusation épousent
les vues de Monsieur LANGLOIS, et qu’au-dessus de la Chambre des mises, il
n’y a que Dieu, qui n’a pas décidé d’être plus actif que les autres
dans cette ténébreuse affaire.
«
Cécily
Depuis 1997, l’enquête DUTROUX-NIHOUL n’a plus progressé. Des tas de pistes menant aux réseaux de pornographie infantile ont été oubliées. NIHOUL est en voie d’être blanchi de son implication dans le trafic d’enfants enlevés par DUTROUX. Resteront accusés : DUTROUX, sa compagne MARTIN et son homme de main LELIEVRE.
Devant les assises, DUTROUX dira sans
doute qu’il a enlevé Sabine et Laetitia pour avoir de la compagnie,
qu’il a fait de même pour Julie et Mélissa, qu’elles sont mortes parce
qu’il a été en prison entre-temps pour une affaire de vol de voitures, et
qu’il ne connaît pas An et Eefje. Il est un tordu isolé comme tant
d’autres.
LELIEVRE et MARTIN vont accorder
leurs violons tant bien que mal à ce noyau dur du crime qui est le seul que
l’enquête de cinq ans a réussi à mettre au jour. Et pourtant...
Y aura-t-il quelqu’un aux assises pour
rappeler de ce que LELIEVRE, au début, a dit aux enquêteurs? Il a dit que
DUTROUX avait bel et bien eu besoin de lui ou de WEINSTEIN pour enlever des
fillettes, qu’An et Eefje avaient été « une commande »,
qu’il parlait à tous ses amis de commandes et de livraisons, de centaines
de milliers de francs gagnés vite et bien.
Et puis, dès octobre, LELIEVRE a été
menacé et s’est tu[1]..
Des enfants ont continué et continueront
à disparaître, ou à souffrir de troubles mystérieux qui les absentent
de l’école et qui alertent de temps en temps un centre PMS ou un prof, sans
suite. Des types continueront à filmer et à vendre la pornographie
infantile, à subjuguer les enfants selon les mêmes méthodes que celles
utilisées pour les jeunes femmes étrangères. Il y aura toujours les
acheteurs de cassettes, ce marché plus lucratif encore que celui de la
drogue, et de discrets clubs privés dans le même style que les Atrébates,
où se rencontrent les porteurs d’une pulsion rigoureusement répartie
parmi toutes les classes sociales.
En enlevant Julie et Mélissa, An et
Eefje, Sabine et Laetitia, la petite organisation de DUTROUX inaugurait
toutefois une stratégie différente de celles des réseaux existants jusque
là, et c’était une stratégie risquée, peut-être mal vue des autres réseaux.
Au lieu d’obtenir les enfants par la séduction d’adolescentes en
rupture de famille, ou en s’assurant de la complicité d’une famille,
Dutroux et ses complices enlevèrent des fillettes sans s’enquérir de
l’identité, du curriculum vitae ni des capacités de réaction de leurs
parents. C’est ainsi que la nébuleuse pédosexuelle belge eut bientôt à
ses trousses des parents de victimes qui étaient totalement étrangers à ses
pratiques, qui les découvrirent avec horreur et qui les firent connaître à
la grande foule de gens du même mode de vie qu’eux.
D’août à octobre, l’enquête
partit dans tous les sens. Le 19 septembre 96, X1 était entrée en jeu,
contre son gré; elle s’était lancée dans le récit aux enquêteurs de
sa vie étrange. Elle avait reconnu NIHOUL comme un des plus dangereux
abuseurs dans le réseau où elle avait tourné.
Via Regina LOUF comme via l’enquête
sur DUTROUX, NIHOUL et leur entourage, il y avait de plus en plus de personnes
impliquées dans cette criminalité, et des réouvertures de dossiers restés
non élucidés. Mais du même coup, on découvrait avec un malaise
croissant que, parmi les clients de ces réseaux de sadisme pédophile, les
participants à ses guindailles, les amis et relations de ses proxénètes,
on avait des personnes très haut placées. Cela signifie un ministre par ci,
un bourgmestre par là, un magistrat ou l’autre, quelques hauts responsables
de la police ou de la gendarmerie, un zeste de noblesse, et même plus qu’un
zeste dans les années 50, d’après la femme témoin plus âgée X3, qui a
eu une enfance assez semblable à celle de Regina LOUF [2]...
Le même genre d’affaire avait déjà
été ébruité durant les années 80; on avait parlé à l’époque de
« ballets roses », pour désigner des soirées sexuelles avec des
enfants de huit à quinze ans. Les locaux du journal « Pour »
furent sournoisement mis à feu dans le cadre d’une entreprise d’étouffement.
Quant à l’étouffement de l’affaire
DUTROUX, il a commencé le 16 octobre 1996, jour du dessaisissement du
juge CONNEROTTE par l’arrêt « spaghetti » de la cour de
cassation. Cet arrêt a engendré la marche blanche du 20 octobre. Si le juge
CONNEROTTE a été dessaisi pour avoir participé à une soirée organisée
par les parents des victimes pour financer leur procès, par contre on
n’a pas écarté de l’enquête de Neuchateau le commissaire de la PJ de
Bruxelles, MARNETTE, pour avoir été un bon client du club privé les Atrébates.
Au moment où CONNEROTTE a été dessaisi, MARNETTE venait d’arriver volontairement
à Neuchateau en tant que grand spécialiste des affaires de mœurs, et pour
cause. Les Atrébates sont un club privé à partouzes cité par Regina LOUF
comme un des lieux de ses prestations d’enfant prostituée, et fut
effectivement fermé quelques années avant l’affaire DUTROUX, pour avoir
impliqué des mineurs. Il faut dire qu’à l’entrée des soirées fines, le
sorteur ne demande pas les cartes d’identités pour connaître les âges :
cela ferait mauvais genre. Ainsi, Monsieur MARNETTE aimait se dévergonder
après journée, tandis que Monsieur CONNEROTTE préférait militer. Le
moins qu’on puisse dire est que la suspicion était aussi légitime dans un
cas que dans l’autre.
Or, la suspicion déjà légitime qui
plane sur le commissaire MARNETTE sera confirmée par un procès-verbal faux,
visant à déclencher anticipativement ce qui serait plus tard l’affaire
des fouilles de Jumet; puis, par une autre manœuvre de déstabilisation de
l’enquête : l’affaire DI RUPO. Mais vous verrez cela au chapitre
des fausses pistes.
Regardons un peu de plus près ce faux
PV initial. Dès la première semaine de son arrivée à NEUCHATEAU, le fin
limier MARNETTE avait trouvé qu’une photo extraite d’une des vieilles
cassettes pédoporno trouvées chez un certain pédophile RAEMAKERS, montrait
un monsieur qui ressemblait vaguement à DUTROUX et qui était en train de
violer une fillette inconnue. RAEMAKERS était en prison depuis belle
lurette, ayant été condamné à la perpétuité pour avoir acheté et exploité
au moins trois fillettes à des familles du quart-monde. Monsieur MARNETTE rédigea
un PV initial demandant au juge CONEROTTE qu’on auditionne RAEMAKERS, car,
disait-il, celui-ci devait avoir connu DUTROUX et pourrait en dire plus sur
ses activités.
Par hasard, l’analyse de la photo échut
à un autre groupe d’enquêteurs que celui dirigé par MARNETTE, qui établirent
de suite qu’elle devait dater des années 70 et qu’à l’époque, DUTROUX
était encore un gamin. L’erreur de MARNETTE ne pouvait pas avoir été de
bonne foi. Aussi s’attira-t-il la suspicion du juge CONNEROTTE et du
procureur BOURLET.
L’étouffement s’est poursuivi par
mise en doute et une « relecture » des témoignages des X.
Relecture au cours de laquelle les officiers de gendarmerie DUTERME et
DERNICOURT, qui en étaient chargés, ont largement diffusé dans la presse
des extraits des procès-verbaux d’audition de Regina LOUF-X1, qui étaient
purement et simplement falsifiés. Suite à la circulation de ces
documents falsifiés, toute la presse traita Regina LOUF de... louf. Dégoûtée,
elle se retira dans sa ferme, après un cycle de conférences pour se
justifier. A ce moment aussi, des copies plus conformes de ses procès-verbaux
d’audition atterrirent dans les rédactions du Morgen et du Standard et
donnèrent lieu à un bien utile ouvrage de référence rectificatif :
« les dossiers X », précisément.
Enfin, les plus hauts magistrats du
parquet ont décidé : « les vols de voitures, c’est au parquet
et au juge d’instruction de Nivelles; les enlèvements d’enfants,
c’est au parquet et au juge d’instruction de Neuchateau ».
Le problème, c’est que les enfants ont été enlevées en voiture, et par
des gens qui sont aussi en relation les uns avec les autres via le trafic des
voitures. Aha! Il fallait y penser avant de trancher. Cela s’appelle
« saucissonnage » et c’est une des cinq techniques « légales »
d’étouffement d’une enquête judiciaire[3]
Ce saucissonnage des dossiers a eu lieu
au printemps 97 et a occasionné une manifestation de protestation de 25 000
personnes devant le palais de justice de Neuchateau.
Une autre manière de nuire à une enquête
judiciaire consiste à l’orienter sur de fausses pistes.
C’est ainsi que, fin 96, du fond de sa
cellule de condamné à perpétuité, notre RAEMAKERS, connu de Regina LOUF
et appelé par elle « Monsieur Pédo », fit savoir aux enquêteurs
que son camarade de cellule, l’obscur FOCANT, lui faisait de drôles de
confidences.
Le juge d’instruction LANGLOIS, qui
venait de remplacer CONNEROTTE dessaisi et avait besoin de grandes actions
pour démentir les rumeurs d’étouffement de l’enquête, prêta de suite
attention aux confidences de FOCANT telles que les rapportaient RAEMAKERS.
C’est ainsi que le plan de MARNETTE
entra en action, avec seulement quelques semaines de retard et juste au
lendemain du dessaisissement du juge CONNEROTTE.
Les enquêteurs obéirent à la demande
de RAEMAKERS de ne pas s’adresser directement à FOCANT. En effet, FOCANT se
confiait à son camarade « pédo », mais n’avait pas
l’intention de redire ces choses aux enquêteurs. FOCANT dit à RAEMAKERS
qu’il avait fait partie du groupe de DUTROUX, enlevé des enfants avec lui
et que, si les enquêteurs fouillaient le charbonnage de Jumet près de
Charleroi, ils trouveraient les corps de Ken MAST, d’Elisabeth BRICHET et de
quelques autres enfants disparus.
Fouiller, c’est ce qu’on fit pendant
des jours et des jours, en vain.
Selon les auteurs des « Dossiers X »,
qui sont allés trouver l’avocate de FOCANT, RAEMAKERS a purement et
simplement attribué à FOCANT des confidences que ce dernier ne lui a jamais
dites, et RAEMAKERS s’est probablement livré à ce jeu sous la séduction
de quelques promesses de récompenses (DX p. 290).
Au moment d’arrêter les fouilles de
Jumet, le juge d’instruction LANGLOIS, qui s’était donc laissé berner en
autorisant ces fouilles gigantesques, fit à la presse un discours comme
quoi il ne fallait négliger aucune piste et qu’il était normal que
certaines initiatives n’aboutissent à rien. Mais la presse ajouta que toute
cette enquête commençait à coûter cher à la collectivité et
qu’il ne fallait pas trop écouter tous ces racontars plus ou moins délirants
sur les réseaux pédosexuels.
Autre histoire de fausse piste. Le 21
octobre 96, au lendemain de la marche blanche, un certain Olivier TRUGSNACH,
recherché pour avoir volé son employeur, rentra spontanément
d’Angleterre en Belgique et se présenta à la gendarmerie avec des révélations
sur « le rôle de personnes haut placées dans l’enquête des réseaux
pédophiles ». Le commissaire MARNETTE, présenté ci-avant, désira
aussitôt qu’il soit entendu. TRUGSNACH fréquente les partouzes afin
d’y arrondir ses fins de mois, et il y aurait déjà, dit-il, rencontré
Elio DI RUPO.
Lors de sa première audition, TRUGSNACH
dit qu’au moment de cette rencontre, il avait dix-sept ans. Inutilisable :
la majorité sexuelle est à seize ans. Alors il fut ré-auditionné et
cette fois, il dit qu’il avait quinze ans. Aussitôt, le tout fut communiqué
à la presse. Le Big Brother qui nous dirige sembla compter sur une nouvelle
marche blanche pour réclamer dans un grand soulèvement révolutionnaire la
levée de l’immunité du ministre DI RUPO. Mais entre-temps, les parlementaires,
en vue de prendre leur décision relative à l’immunité du ministre, découvrirent
le dossier et furent assez scandalisés de la manière dont TRUGSNACH se
rajeunissait d’une audition à l’autre. Dans cette affaire, le seul aspect
consistant semblait la promesse faite à TRUGSNACH d’arranger son problème
de vol s’il racontait certaines choses. DI RUPO fut protégé par ses
pairs.
Il ne resta plus de là qu’une mauvaise
impression parmi le public. Mes chers collègues de l’administration maugréèrent :
« C’est normal que tout va mal dans ce pays puisqu’il y a des pédés
au gouvernement! » D’autres, un peu plus fins, commençaient à en
avoir marre qu’on aille farfouiller dans la vie privée de chacun, et
trouvaient que la marche blanche n’était, au fond, qu’un dangereux
sursaut de puritanisme vindicatif de la part des classes laborieuses et par
trop moyennes.
Il y a de petits commerçants dont la
faillite ruine la vie ainsi que celle de leurs enfants. Par contre, Michel
NIHOUL en a vécu une demi-douzaine et ne s’en est jamais porté plus mal.
Sa devise : « tant qu’on a
des relations... » Mais cela n’explique rien, « avoir des
relations ». Quels échanges économiques circulent entre ces relations,
là est la question.
Vers la quarantaine, après déjà une
longue série de fondations de sociétés foireuses et de faillites, le
Bruxellois NIHOUL est animateur de radio, entouré d’artistes en tout
genre, et il organise des soirées, des concerts. Il parvient à se faire prêter
par Claude BARZOTTI 550 000 francs que le chanteur ne reverra jamais. Il
organise les campagnes électorales de Paul VANDENBOEYNANTS et de ceux de
l’aile droite du PSC, le CEPIC. Avec ses amis les avocats DELEUZE et Annie
BOUTY, il monte une officine juridique chargée de convaincre l’Office des
Etrangers de délivrer des permis de séjour à des réfugiés nigérians,
et les services du Ministère de la Justice de procéder à certaines libérations
conditionnelles. Pendant que DELEUZE et BOUTY s’occupent des arguments
juridiques, NIHOUL possède l’art d’avancer où il le faut des arguments
financiers qui donnent un poids particulier aux premiers et une certaine
clientèle aux avocats. Grâce à des types pleins de relations comme NIHOUL,
un cas friqué n’est jamais désespéré. C’est pourquoi les Nigérians
débarquent en Belgique avec le nom d’Annie BOUTY sur les lèvres et, dans
leur pays, elle est considérée comme une Mama.
Plus tard, BOUTY devient la maîtresse
du docteur GUFFENS, directeur-général du Centre médical de l’Est,
condamné en correctionnelle pour détournement des fonds de ce centre.
NIHOUL le convainc qu’il y a moyen d’acheter son procès en appel, peut
ainsi retirer 5 millions de ses comptes... et s’en sert pour ouvrir un café
qui s’appelle le Clin d’Oeil, qu’il exploite avec Marleen DE COCKERE.
GUFFENS, lui, voit sa condamnation alourdie en appel. Ne pas surestimer la
longueur du bras de NIHOUL!
Jusqu’ici en tout cas, rien de relatif
aux réseaux.
En 1991, DELAMOTTE, vieil ami de NIHOUL
et co-fondateur de toutes les sociétés de NIHOUL qui tombaient en faillite
les unes après les autres, fonde la société ASCO, « achat-service-commerce »,
qui démonte des voitures et exporte les pièces détachées vers l’Afrique
et la République dominicaine.
DELAMOTTE et NIHOUL ont aussi tous deux
fréquenté les Atrébates, ce club fermé en 83.
La société ASCO est basée à Honnelles,
près de Mons, près de la frontière française. De là, au lendemain de
l’arrestation de DUTROUX et de NIHOUL en août 96, la police a envoyé à
Neuchateau un vieux dossier de 1994, et les PV d’une enquête de voisinage
réalisée après l’arrestation de DUTROUX en 1996.
Dans ces PV d’enquête, les gens du
coin racontent qu’au siège d’ASCO, on voyait souvent NIHOUL, LELIEVRE,
WEINSTEIN, MARTIN. Au café de la place, NIHOUL se faisait remarquer en
payant avec des billets de 5000 F. Il était toujours entouré d’une
En 94, peu avant la faillite d’ASCO,
DELAMOTTE et NIHOUL se sont violemment disputés avec un voisin parce qu’ils
creusaient un grand trou dans un bout de terrain qui lui appartenait, pour
y enterrer quelques sacs poubelles. Finalement, ils ont creusé un autre trou
sur la propriété d’ASCO et les ont enterrés là. La police de Honnelles a
envoyé ce dossier à Neuchateau au cas où on voudrait savoir ce qui a été
enterré là; mais Neuchateau n’a jamais répondu. C’est pourquoi les
PV de Honnelles ont atterri à la rédaction du Morgen et de là dans
« les dossiers X ».
NIHOUL est-il un magouilleur presque
sympathique, ou quelqu’un dont l’art de se relever de tous les plantages
est sous-tendu par des rentrées financières autrement plus scabreuses?
L’état de l’enquête ne permettra pas de le savoir, mais ce qu’on sait,
c’est qu’il n’y a pas eu de volonté d’enquêter.
L’enquête de Neuchateau, avortée
suite au dessaisissement du juge CONEROTTE, a par ailleurs impliqué un
certain Lucien VIAL[4].
Il s’agit d’est un homme d’affaires qui a pignon sur rue à Charleroi
dans le commerce des vins, et qui ressemble physiquement à NIHOUL.
Pendant que RAEMAKERS condamné à perpétuité
croupit en prison, VIAL sévit en toute impunité à Charleroi. On l’a
vu visiter des familles pauvres de Charleroi pour leur proposer de louer
leurs enfants pour 50 000 F. Il fait des photos porno avec eux (DX p. 356). A
ses heures perdues, il enlève des adolescentes au vu et au su de tout le
monde, les viole et les maltraite et les abandonne traumatisées quelques
jours plus tard. Il est riche et s’achète des hommes de main qui l’aident
dans ses enlèvements. Lorsque les parents de ses victimes ont osé porter
plainte, l’instruction a capoté pour de bien mauvaises raisons, ou
alors, par impossible, VIAL n’a été condamné qu’à des peines de prison
ridicules et a été libéré presque tout de suite. Si bien que, quand il débarque
dans un café ou une boîte, une crainte respectueuse l’entoure : il a
le bras long. D’ailleurs, un jeune homme, Pascal MEUNIER, pour avoir pris la
défense de deux adolescentes que le clan VIAL emmenait de force en plein
dans un café, a été retrouvé mort une semaine plus tard. Il avait été
menacé par un des complices de VIAL, tandis que ce dernier démarrait avec
les filles et ses hommes dans sa voiture. Lorsqu’on retrouva l’inconscient
justicier mort au coin d’un porche de la ville, son corps portait des
traces de coups, mais le médecin légiste conclut obstinément à un décès
par overdose.
Juste avant son dessaisissement, le juge
CONNEROTTE faisait surveiller VIAL. On apprenait ainsi qu’il allait
chercher des adolescentes en Roumanie et qu’il pouvait se procurer pour
elles des attestations de tutelle à Walcourt, commune où il habite et où
il a des relations dans la police et dans l’administration communale. Ainsi
la poule aux oeufs d’or est, avec le commerce des vins, une source de sa
richesse.
Le juge CONNEROTTE préparait une série
de perquisitions à son domicile et dans son entreprise, ainsi que chez des
hommes qui avaient enlevé des filles pour son compte en 1996. Le juge
LANGLOIS, qui lui succéda, ne les autorisa pas. (DX p. 360, 356)
VIAL est sans doute en France actuellement.
« Il se pourrait que les nombreux
témoignages de viols et de tentatives d’enlèvements d’enfants contre
NIHOUL aient en fait tout bêtement trait à L. V. » (DX, p. 327). Dans
ce cas, effectivement, NIHOUL aurait failli être victime d’une erreur judiciaire!
Le hic, c’est qu’à Neuchateau, après le départ du juge CONNEROTTE, en
quatre ans on n’a pas davantage enquêté sur VIAL que sur la société ASCO
fréquentée par NIHOUL.
Regina LOUF affirme avoir connu de très
près NIHOUL et BOUTY. Elle leur doit même la soirée la plus infernale de
sa carrière.
BOUTY et NIHOUL, avec quelques autres,
ont torturé et assassiné sous ses yeux Christine VAN HEES, en 84, à la
champignonnière d’Auderghem. Regina avait une quinzaine d’années.
On a du mal à voir le magouilleur
bruxellois bedonnant et l’avocate affairiste en tortionnaires sadiques,
mais le problème pour qui veut tenir cette accusation pour fantaisiste,
c’est que Regina LOUF décrit plusieurs détails de cette champignonnière
et de ce meurtre, détails qui concordent avec ceux qui dorment dans le
dossier de ce meurtre. Et comment aurait-elle pu avoir connaissance de ce
dossier?
Dans ce dossier, on trouve aussi que
Christine VAN HEES, quelques semaines avant sa mort, avait confié à une
amie qu’elle était membre d’un club secret de gens plus âgés, qu’ils
lui faisaient peur, mais qu’ils la fascinaient aussi.
Sans savoir cela, Regina dit de Christine
qu’elle ne comprenait rien au milieu dans lequel elle était tombée,
qu’elle était là par « amour », éprouvant un besoin d’une
relation avec des plus âgés et pensant vaguement tirer parti de ces modes
de vie où l’argent et l’amour sont également faciles.
Regina Louf dit que BOUTY et NIHOUL étaient
au meurtre de Christine VAN HEES. Comment pouvait-elle savoir qu’ils étaient
effectivement amis et associés dans les années 80?
Selon Regina aussi, l’assassinat de
Christine VAN HEES n’était pas la première nuit sadique qu’elle
faisait avec eux, dans le rôle de victime et d’aide-tortionnaire qu’elle
avait acquis au fil des années parmi les tordus friqués qui l’emmenaient
à leurs rendez-vous dans des villas du Brabant.
J’ai donné ainsi quelques aperçus de
ce qui se trouve dans « les dossier X ».
Ce bouquin a été rédigé suite à la
grande fuite désespérée des dossiers de Neuchateau vers les médias :
le Morgen et le Standaard. Cette fuite avait pour but que la démocratie directe
s’empare de l’enquête, à défaut pour le système judiciaire de la mener
correctement.
Je crois que le bouquin « les dossiers
X doit à son caractère touffu de n’avoir pas besoin de censure. Les
protecteurs du trafic pédosexuel, ou de l’honneur des institutions belges,
ont dû se dire : « de toute façon, personne ne le lira! »
Bien estimé. Il est pourtant écrit de la meilleure plume qu’on puisse
trouver et reflète finement les psychologies et les milieux, mais, rien à
faire, en 552 pages au cours desquelles apparaissent, disparaissent et
resurgissent 350 noms, on perd quand même un peu le fil. A moins d’être
champion d’échecs et membre de la Mensa... comme RAEMAKERS!
Les journalistes fourbissent déjà leur
discours pour le procès d’assises. Ils diront en substance : « lors
de la marche blanche du 20 octobre 96, la foule, égarée par les communications
publiques imprudentes des parents des victimes eux-même égarés par la
douleur, a cru que nul autre juge d’instruction que CONNEROTTE ne réussirait
à mener l’enquête à bien. Or, son successeur LANGLOIS a travaillé
avec plus d’impartialité et plus d’objectivité, si bien qu’une fois
dissipées des fumées de fantasmes et des croyances, on s’aperçoit
qu’il n’y a pas un bien grand feu dessous. Juste un prédateur isolé
comme d’autres... »
L’oubli sera-t-il un jour assez généralisé
pour qu’ils puissent asséner ce discours-là et conclure?
« Cécily
[1] Sauf mention d’une autre source, tout ce qui suit est extrait de l’ouvrage « les dossiers X », Annemie BULTE, Douglas DE CONINCK et Marie-Jeanne VAN HEESWIJCK, EPO 1999. Vous retrouverez les pages de l’ouvrage auxquelles je me réfère via les noms des personnes, grâce à l’index qui se trouve à la fin de l’ouvrage.
[2] Dossiers X p. 316; Dossiers pédophilie 187-212.
[3]Erik RYDBERG, « Nom de code Neuchateau » EPO 1999 p. 69
[4] Dossiers X p. 352 et suivantes; Jean NICOLAS et Frédéric LAVACHERY « Dossiers pédophilie » Flammarion 2001 p. 136 et suivantes.