ALTERNATIVE LIBERTAIRE N°
11 - Février 2002
CETTE BONNE MERE TERESA …
Dans les procès en canonisation, l’avocat du diable est celui qui
cherche à prouver que celui qu’on voudrait proclamer saint ne l’était
pas tant que ça, si bien que son âme appartient plutôt au diable qu’à
Dieu. En voilà un métier passionnant !
A propos, que pourrait-il bien trouver à charge de Mère Teresa ?
Tout d’abord, que l’histoire de la religieuse
morte en odeur de sainteté prend place et signification dans le monde
contemporain tel qu’observé par le PNUD.
Rappelons, rappelons encore ces données. Psalmodions-les cinq fois par
jour du haut de tous les minarets. Calligraphions-les sur les murs de tous les
lieux publics. Selon ledit Programme des Nations Unies pour le Développement,
en 1999 la fortune des trois personnes les plus riches du monde dépasse le
produit intérieur brut cumulé des 48 pays en développement les plus
pauvres. La satisfaction des besoins essentiels de l’ensemble de la
population du tiers monde (nourriture, eau potable, infrastructures
sanitaires, éducation, santé, gynécologie, obstétrique) est estimée à 40
milliards de dollars par an, soit 4% de la richesse cumulée des 225 plus
grosses fortunes mondiales.
Derrière «la crise», il n’y a pas des entités abstraites sur
lesquelles personne n’a plus aucun contrôle, mais des individus titulaires
de fortunes. C’est au cœur de ces écarts vertigineux, croissants depuis
1978 et cependant parfaitement remédiables, que se place l’œuvre de Mère
Teresa.
Mère Teresa avait un charisme tel qu’elle re«ut une grande quantité
de dons, de prix, de décorations et des millions de dollars, de la part
d’Etats, d’organisations internationales ou encore des gens appartenant
au petit monde dont le PNUD comptabilise les avoirs pour les mesurer à la
pauvreté des nations.
Le gouvernement indien lui décerna le prix du Lotus miraculeux. En
1971, le Vatican fit de même pour le prix Jean XXII de la Paix. La même année,
elle recevait à Boston la médaille du «Bon samaritain». Puis saut à
Washington, pour recevoir la médaille John F. Kennedy le 16 octobre.
L’année suivante, les enchères montent. Le gouvernement indien
semble s’apercevoir que le prix du lotus miraculeux est bien faible et lui
en octroie un plus important. En 1973, le prince Philip, qui est, pour la
petite histoire, consort d’une famille dont les membres n’ont pas le droit
de contracter mariage avec des catholique, allonge à mère Teresa 34 000
livres sterling.
En 75, la FAO fait frapper une médaille spéciale à son effigie, qui
porte au revers l’inscription : «A manger pour tous : année
sainte 1975». 26 ans ont passé et on connaît le bilan...
Mais le bénéfice des ventes de cette médaille à été reversé à
l’Ordre de Mère Teresa, les Missionnaires de la Charité. Il y a encore le
prix Albert Schweitzer, une nouvelle aide de la part du gouvernement indien,
le prix international Balzan, d’un quart de million de lires, accordé par
le président italien. Et enfin le prix Nobel de la Paix, avec le chèque, en
décembre 1979. (1 p. 67)
Parmi les donateurs privés, on note l’escroc américain Charles
Keating, qui, avant d’être inculpé, passait pour un homme d’affaires américain
catholique, un peu intégriste sur les bords. Teresa lui offrit un crucifix
personnalisé qu’il utilisa pour conforter son image d’honorabilité et
retarder la découverte du pot aux roses par la justice.
Pour ce menu service, elle reçut de lui un million de dollars et un
quart. (1 p. 69)
Forte de l’exemple de Jésus, Mère Teresa rencontra plus d’une
personne peu fréquentable, sans doute afin de leur suggérer d’écouter
un peu mieux la Bonne Nouvelle. En 1981, elle rencontra en Haïti «Baby Doc»,
Jean-Claude Duvalier, et sa femme Michèle, et reçut la Légion d’honneur
haïtienne. Ce pays de 7 millions d’habitants comptait, à ce moment, une
armée de 45 000 gendarmes, dits «tontons macoutes», qui supprimaient les
opposants à la machette et avaient provoqué l’émigration d’un million
de Haïtiens.
Mère Teresa rencontra aussi l’Américain John Roger, chef d’une
secte appelée MSIA (Mouvement pour l’Eveil Spirituel Intérieur - prononcez
Messie), un homme qui prétendait avoir une «conscience spirituelle» supérieure
à celle de Jésus. Elle reçut de lui le John Roger Integrity Award, d’une
valeur de 10 000 dollars. (1 p. 22)
Avec Hillary Clinton, elle inaugura à grand renfort de médias un
orphelinat de douze lits alors que tout le système de soins de santé américain,
trop généreux, venait d’être démantelé. (1 p. 24)
Baby Doc fut chassé en 86. Le prêtre Jean-Bertrand Aristide, de la théologie
de la Libération fut élu président fin 90 à une majorité écrasante de
68%.
La théologie de la Libération est un catholicisme social jugé hérétique
par Rome en 84. Mais, après quelques essais impopulaires de répression
disciplinaire des pasteurs hérétiques, le Vatican préféra les laisser
faire, tout en menant une politique d’ordination et de promotion faisant une
large place à l’Opus Dei. Toutefois, Aristide perdit à son élection ses
charges de prêtre, comme Fernando Cardenal lorsqu’en 84 il devint ministre
au gouvernement sandiniste du Nicaragua. Aristide fut exclu de l’Eglise au
motif qu’on ne peut être prêtre et président. Par contre, on peut être
prêtre et agent de la CIA, comme le démontre le cardinal nicaraguayen
Miguel Obando y Bravo, archevêque de Managua, leader idéologique de la
contra et bien trouble personnage devant l’Eternel. (1 p. 92)
De toute façon, huit mois après son élection, Aristide fut renversé
par une junte militaire. Pendant que les marines américains imposaient leur
version du blocus décidé par la communauté internationale en y renvoyant
les boat-people, le Vatican fut le seul Etat à établir des relations
diplomatiques officielles avec ce gouvernement de fait. (2 p. 110).
Lorsque Charles Keating fut condamné et que des familles entières
apprirent qu’elles ne reverraient pas les économies qu’elles lui avaient
confiées, on ne demanda pas à mère Teresa de restituer la somme reçue.
Pourtant, l’argent des dons dormait sur des comptes en banques.
Pauvres parmi les pauvres, la mère et les 4000 sœurs
de son ordre dépensaient les sous au compte-gouttes dans des maisons
d’accueil qui étaient de petite taille et dépourvues du moindre confort,
voire de ce que notre époque considère comme le nécessaire. (1 p. 75)
Dans la Maison des Agonisants de Calcutta, il y avait une salle
comportant une cinquantaine de patients installés sur des lits de camp de la
première guerre mondiale et une salle comportant une cinquantaine de
patientes installées de même. La règle exigeait une pingrerie extraordinaire
dans les objets courants. Pas de morphine dans cette maison de soins
palliatifs, aucun antidouleur puissant : c’était contraire à l’éthique
de la mission. Un jour, mère Teresa dit à un patient : «Tu souffres
comme le Christ sur la Croix. Alors Jésus doit être en train de
t’embrasser.» L’homme lui répondit : «S’il vous plaît, alors,
dites-lui d’arrêter.»
A l’orphelinat, les bébés portaient des langes de coton qui
occasionnaient rougeurs, odeurs et beaucoup d’humble travail pour les sœurs
et des bénévoles. Pas de pampers !
Aucun bilan médical systématique n’était organisé pour les malades
entrants, d’où des cas d’erreur de diagnostic et de soins trop tardifs.
Les médecins étaient d’ailleurs très rares dans ces maisons, qui
s’apparentaient plutôt à des lieux d’accueil et de prière qu’à des hôpitaux.
On manquait de perfusions et les aiguilles étaient réutilisées après un
lavage sous le robinet, car «on n’avait pas le temps» de les stériliser.
Lorsqu’un patient nécessitait une opération, on n’appelait pas
le taxi pour l’envoyer à l’hôpital le plus proche. «Sinon il faudrait
le faire pour tous les autres !» On le préparait chrétiennement à
mourir dans la maison de mère Teresa. Toujours sans antidouleur.
En fait, à part des antibiotiques et des médicaments courants, ces
maisons ressemblaient plutôt à des hôpitaux moyenâgeux où la prière
tenait lieu de tout. Les sœurs qui avaient en charge tous ces malades et ces
enfants avec si peu de moyens devaient se faire pauvres parmi les pauvres,
rencontrer la mort et la souffrance avec patience et recueillement, en
n’ayant pas plus que les pauvres les moyens de les éviter ou de les
adoucir. Tout cela était voulu, intentionnel : comme le confort, les
approches systématiques sont étrangères à la morale du foyer. Mère Teresa
s’en remet à la Providence, pas à un planning ; ses règles ont été
écrites pour prévenir tout dérapage vers le matérialisme : les sœurs
doivent rester sur le même plan que les pauvres... (1 p. 46)
Certaines d’entre elles finirent par en être choquées et témoignèrent.
Lors de l’apparition du sida, la mission de mère Teresa ouvrit une
maison aux Etats-Unis pour les patients qui en étaient atteints. Mais cette
maison n’eut pas beaucoup de succès, car les malades étaient effrayés
d’y entrer et préféraient les hôpitaux publics. Mère Teresa
s’imaginait peut-être que l’épidémie s’étendrait au point de déborder
les capacités des hôpitaux, mais l’information et le préservatif détournèrent
le courroux divin des pays développés. (1 p. 46-50)
Une religieuse qui a exercé de hautes fonctions dans l’Ordre avant de
rompre, écrit : «Le flux de dons était considéré comme le signe du
soutien divin à la congrégation de Mère Teresa. (...) Notre compte en
banque se montait déjà à une petite fortune, qui s’accroissait à chaque
arrivée de courrier. Un seul recueil de dons dans le Bronx nous avait rapporté
50 millions de dollars. (...) Ceux d’entre nous qui travaillaient au bureau
régulièrement avaient compris que tout cela devait rester secret. Les dons
se succédaient et prenaient le chemin de la banque, mais ils n’avaient
aucun effet sur nos vies ascétiques, ni sur celles des pauvres que nous
essayions d’aider.» (1 p. 54)
Avec cet argent, on aurait pu doter toute une partie de l’Inde d’un
système de soins de santé moderne et gratuit. Les Missionnaires de la
Charité ont préféré disperser parmi la pauvreté du monde entier de petits
orphelinats, des mouroirs, le tout con«u selon la manière dont les très
riches s’imaginent le rôle des pauvres sur terre, et surtout pas «matérialiste» !
Mère Teresa ne mourut pas dans une maison de sa congrégation mais dans
un hôpital ultra-moderne.
Lors de la catastrophe industrielle de Bhopal (35 000 morts, 5 millions
de personnes atteintes au système respiratoire et à la peau), Mère Teresa
a immédiatement pris l’avion pour se rendre sur les lieux et a dit à la
foule en colère, assemblée à sa sortie d’avion : «Pardonnez !
Pardonnez ! Pardonnez !»
Ainsi, elle reconnaissait, dès avant de rencontrer les victimes,
qu’il y avait quelque chose à pardonner. Elle demandait aux victimes de
ne pas chercher quoi. Pourtant, ne faut-il pas connaître la vérité au cours
d’un vrai procès pour pouvoir ensuite décider ou non de pardonner ?
N’est-ce pas d’un vrai progrès social, aussi, qu’on pourrait seulement
louer l’Eglise et le Dieu au nom duquel elle dit agir ? Non. «Pardonnez»
est l’adresse des riches aux pauvres, l’adresse de l’Eglise aux peuples,
et signifie : «Renoncez à comprendre. Renoncez à la vérité. Et si
nous vous le disons, renoncez à vivre.» (1 p. 88)
«
Cécily
(1)
Christopher Hitchens, «Le mythe de mère Teresa», Dagorno 1996
(2)
Constance Colonna-Cesari, « Le pape :
combien de divisions ? », Dagorno 1994