Le Collectif sans ticket présente :
«Si une cohorte de
manants, gueuses et gens du commun s’élance ce jour à pied vers la
capitale, c’est animée par une volonté bien ancrée : celle de voir
chacun de nos pas vers le palais de justice nous éloigner des palais pour
mieux nous rapprocher de la justice. Pour nous rapprocher de services publics
de transport, fruits d’une multitude de coopérations entre les premiers
concernés, les usagers et les travailleurs. Des transports construits pour
fournir un service de qualité, réduire les inégalités et pousser la société
vers le haut.»
Une centaine de
personnes, des ânes et des poules s’étaient donnés rendez-vous à 11h
place Saint-Lambert pour donner le coup d’envoi de la «Marche des gueux», réponse
en forme de pied de nez à l’utopie mortifère du «vous n’avez qu’à
aller à pied».
Une joyeuse bande de 30
personnes s’est dirigée vers Oreye, afin de mettre en application, lors
d’une opération tarif 0 (ou réappropriation des moyens de transports) dans
le bus 75, le droit à la mobilité. En s’ajoutant aux 5 personnes présentes
dans le bus, elle augmentait ainsi de près de 600% le taux de fréquentation de
la ligne !
Cette réappropriation
du droit à la mobilité est pratiquée depuis 3 ans par le Collectif sans
ticket. Une dizaine d’usagers de la carte de droit aux transports ont
rendez-vous avec la justice ce vendredi 7 décembre, afin d’y exprimer les
motifs qui les ont poussés à faire ce pas de côté. Une bande d’utopistes
écervelés ? L’actualité dans le domaine tend à prouver l’inverse.
Ainsi, nous pouvons lire en page 98 du livre «Nouveaux rythmes urbains :
quels transports ?», publié en France par le Conseil National des Transports,
et dirigé par Jean-Paul Bailly (PDG de la RATP) et Edith Heurgon (responsable
de la mission prospective de la RATP) que : «Au-delà de la mobilité,
l’enjeu principal est l’accessibilité de tous aux diverses activités.
C’est ce qui fonde le droit au transport comme condition d'égalité des
chances (...) L'accessibilité de tous à l’ensemble des activités (emploi,
formation, loisirs, culture, services, commerces) suppose d’abord de
lever les obstacles de toutes sortes (physique, tarifaires, informationnels)
concernant les modes de déplacement et les espaces publics (…) Il sera de
moins en moins socialement admissible de répondre aux besoins de mobilité
par des solutions exclusives.»
Rappelons qu’en
Belgique, sous l’impulsion du Collectif sans ticket, la députée fédérale
ECOLO Marie-Thérèse Coenen planche actuellement sur un projet de
modification de l’art.23 de la Constitution, visant à introduire en alinéa
6 un «droit à la mobilité». Ce droit, s’il était consacré, marquerait la
volonté politique de donner une assise légale à certaines des déclarations
d’intention contenues dans le «Plan Fédéral de Développement Durable»
qui nous intéressent tout particulièrement :
-438 : «La Déclaration
gouvernementale (…) s’engage à élaborer une politique de mobilité intégrée
pour diminuer les nuisances environnementales et les nuisances sociales
d’une part, et pour augmenter la mobilité de certains groupes sociaux
(principalement des enfants, des personnes âgées, des minimexés et des
bas salaires) au moyen des transports en commun, d’autre part».
-450 : «(…) En matière sociale, le gouvernement rendra au moins
les chemins de fer financièrement accessibles aux jeunes de moins de douze
ans, aux pensionnés, aux personnes à faible revenu (…).»
Alors procès d’une époque
révolue ?
En attendant, le débat
continue de parcourir le territoire. Hier soir, c’était à la Ludoferme
de Oleye qu’il était question d’accessibilité. Après un concert des «Loukoums»
et la diffusion de l’émission «Coups de pouces» (Télé Bruxelles), une
rencontre enthousiasmante s’est déroulée avec Alain Geerts, expert en
mobilité d’Inter Environnement Wallonie.
Les marcheurs se
dirigent ensuite vers Hannut. Ils présenteront à 20h, dans la salle communale
de Villers-le-Peuplier (rue de la Crosse, 5) «Le livre-accès», sorti en
novembre aux éditions du Cerisier.
La «Marche des gueux»,
entamée ce dimanche 2 décembre, continue son petit bonhomme de chemin pour
atteindre la capitale. Ils seront accueillis à la Gare Quartier Léopold par la
fanfare «Belgistan», aux alentours de 17h15.
Parcourant joyeusement
le territoire, après s’être rendu à Oleye, Hannut, ils se sont arrêtés le
soir à Jodoigne. Invités par le S.I.E.P. Brabant-Wallon, le collectif sans
ticket a été chaleureusement accueilli par quelques habitants ainsi que par le
bourgmestre FF et des membres du conseil communal qui ont témoigné de leur
sympathie et leur intérêt pour la lutte des sans ticket. Ceux-ci ont ensuite
pu débattre avec les habitants de la cité de la question de l’accessibilité
aux équipements collectifs. Cette discussion a mis en évidence que la
question de l’accessibilité en région rurale était particulièrement brûlante.
En effet, avant de parler de la gratuité, il fallait aborder le thème du
manque de déserte.
Depuis 20 ans la SNCB
ainsi que les opérateurs de transport régionaux, soumis aux coupes sombres
budgétaires décidées par Decroo, ont dû abandonner à la voiture la
mobilité des personnes vivant dans les campagnes. A Jodoigne, mais également
à Hannut (20.000 hab.), nous avons pu constater que les gares ont été fermées,
et que pour prendre en semaine un bus dans les bourgades environnant Jodoigne
afin de se rendre à Bruxelles, il fallait se lever à 5h du mat’.
Une des conséquences de
ces politiques est la transformation de ces espaces ruraux en espaces de
transit pour les camions de marchandise. Comme pouvait le constater un des
marcheurs : «Ces routes de campagnes sont à bien des égards plus
dangereuses et polluées que certaines artères des centres villes.»
Après une nuit passée
«chez l’habitant», les gueux ont repris la route, direction
Louvain-La-Neuve. Une rencontre-débat sur la mobilité est prévue au «111»,
avec entre autre la participation de «Tous en bus», groupe citoyens-experts
travaillant à la création d’un réseau de bus sur Ottignies-L-L-N.
Après 5 journées de déambulation
à travers les routes et les sentiers boueux du Royaume, la vingtaine
d’usagers du Collectif sans ticket amenée par la SNCB à porter en appel
devant les tribunaux la question de l’accès aux transports a atteint ce
vendredi les marches du Palais de Justice de Bruxelles, sous les encouragements
d’une centaine de personnes et accompagnée par les chants médiévaux d’une
chorale polyphonique.
«On aura tous-tous-tous
bientôt les trains gratuits…» ont entonné les gueuses et gueux sans
ticket sur l’air de «On ira tous à Torremolinos», alors que la foule prenait
le chemin de la salle d’audience. L’accès à cette dernière était une
fois de plus richement garni de policiers fédéraux chargés de fouiller
toute personne désireuse d’assister aux débats. Ce déploiement de
forces, combiné au refus du Président d’accepter dans l’enceinte du
tribunal les gueux poursuivis s’ils ne quittaient pas leur accoutrement, a
retardé l’ouverture du procès pendant une heure et demie.
La troupe de sans ticket
une fois installée, le Président a énuméré les faits retenus à
l’encontre des 17 usagers prévenus (entre une et quinze amendes). Maîtres
Van Gehuchten, Peeters et Letellier sont ensuite intervenus pour contester le
bien fondé de poursuites reposant sur un traitement discriminatoire des
citoyens en matière tarifaire et contrevenant par là aux art. 9 et 10 de la
Constitution belge. Evidente sur le territoire belge, cette inégalité des
usagers devant les services rendus s’étend d’ailleurs à tout ressortissant
de l’Union européenne, en infraction avec le droit communautaire au regard
duquel il ne peut être question d’une «préférence nationale tarifaire» (réductions
applicables par exemple aux minimexés en Belgique mais pas à leurs équivalents
français – les RMIstes – lorsque ils se déplacent sur le réseau
SNCB). Dans la foulée, les avocats du CST ont pointé, à travers les art. 82
et 86 du traité instaurant la Communauté européenne, l’irrégularité de
conditions commerciales inégales (les diverses formules tarifaires, sans lien
avec la situation socio-économique des usagers) pour des prestations équivalentes
(les trajets en train).
La plaidoirie a aussi
souligné la dimension explicitement politique de la démarche des usagers
du CST, citant entre autres à titre d’illustration ce qu’en a écrit la
philosophe des sciences I. Stengers : «Ce n’est pas à un aménagement
humanitaire de la situation qu’il (le CST) entend aboutir (…). C’est à
une véritable décision politique, traduisant une transformation de la manière
dont les problèmes sont posés, c’est-à-dire un événement culturel».
Maître Peeters a pour
sa part présenté les déplacements des prévenus en tant qu’application de
la notion «d’état de nécessité», le voyage sans titre de transport
visant ici à préserver la valeur du droit à la mobilité, prioritaire par
rapport au dommage prétendument causé à la collectivité.
Le Substitut du
Procureur du Roi a quant à lui soufflé le chaud et le froid. Tout en
reconnaissant que «la cause des prévenus est en tous les cas totalement
justifiée aux yeux d’une politique future», il s’en est tenu à une
lecture du droit réductrice et amnésique, demandant à la Cour la plus stricte
application de la loi. Il a en effet estimé qu’une jurisprudence
imaginative en la matière constituerait «une dérive dangereuse pour la démocratie».
Vu le peu de revenus des usagers poursuivis, c’est donc sans sourciller
qu’il a réclamé des peines d’emprisonnement à l’encontre d’une
pratique citoyenne qu’il juge par ailleurs «respectable et sympathique».
Cinq usagers de la carte
de droit aux transports, membres ou non du CST, ont, pour finir, apporté un
faisceau d’éclairages sur le contexte et les motivations de leur démarche.
En une petite heure, devant le Substitut, les trois juges et les greffières du
Tribunal correctionnel, ils ont abordé les aspects suivants : la désobéissance
civile et la jurisprudence comme sources vivantes du droit ; les mutations
de l’environnement socio-économique, la crise du politique et les nouvelles
formes de participation à la chose publique ; la mise en critique des régimes
tarifaires préférentiels en vigueur aujourd’hui ; l’état de
liquidation larvée d’une SNCB rongée intérieurement par une gestion
financière compromettant à court terme ses missions de service public ;
enfin, l’expérience et les enseignements que l’on peut associer à
l’emploi de la carte de droit aux transports.
A côté de
l’application stérile du réquisitoire du Substitut, une possibilité
s’est dessinée pour le Tribunal dans les conclusions déposées à
l’audience : faire suite aux trois propositions de questions préjudicielles
(demandes de clarification adressées ici à la Cour de Justice européenne de
Luxembourg) relatives à l’interprétation du droit communautaire. Peut-être
alors adopterons-nous la suggestion du Président qui, ce matin, face aux
applaudissements ponctuant les propos de la défense, s’est exclamé :
«Faites ça quand je rendrai mon jugement». Un jugement qui sera prononcé en
audience publique le vendredi 18 janvier 2002.
«
Les CST de Bruxelles
et de Liège