L’économie participative
comme alternative au capitalisme


Conférence-débat autour de Michael Albert, membre du réseau Z-net.
 Lieu : ULB (la salle sera affichée sur le campus). Date : 15 jan­vier 2002 à 20 heures.
Organisateurs : ATTAC et Centre libertaire


Le réseau Z-net se présente comme «une communauté de gens engagés en faveur du changement». Ce réseau existe depuis une dizaine d’années aux Etat-Unis autour d’une publication en pa­pier, Z-magazine (mensuel) et d’un site Internet (http ://www.zmag.org/). Parmi les membres du réseau, le plus connu est Noam Chomsky, linguiste, mili­tant libertaire et criti­que lucide et intransigeant de la politi­que officielle de son pays. Michael Albert est mieux connu aux Etats-Unis qu’en Europe. Il a élaboré un projet d’alternative économique au capitalisme fondée sur les différentes expériences libertaires passées ou en cours : l’économie participative ou Parecon. Son principe est la gestion de l’économie par des conseils décentralisés de produc­teurs et de consommateurs.

Il mène également une réflexion permanente sur le mou­vement alter-mondialiste et a publié plusieurs articles sur ses perspecti­ves et ses objectifs, notamment après ces tour­nants que sont, pour des raisons différentes, Seattle, Gênes et le 11 septembre. Il s’intéresse aussi à la critique des média et à la création de média alternatifs.

Voici quelques extraits d’un article de Normand Baillar­geon, écrivain anarchiste québecquois, à propos du projet économique de Michael Albert.

On peut trouver l’article entier dans «Agone», vol. 2, n°1, 1999, pp. 159-176, et également en ligne sur le site de ZNet (http ://www.parecon.org/writings/normand1.htm).


Une proposition libertaire : l'économie participative


Robin Hahnel, professeur d'économie à l'université de Washington, et Mi­chael Albert, activiste américain bien connu, ont élaboré, au début des an­nées 1990, un modèle économique qu'ils ont appelé Participatory Eco­nomics ou Parecon - ce que je propose ici de rendre par Écopar.

Ce très ambitieux travail est quelque peu connu aux États-Unis, du moins dans le milieu des économistes "pro­gressistes" et dans celui des activistes de tendance li­bertaire. L'Écopar vise à concevoir et à rendre possible la mise en place d'institu­tions économiques qui permettent la réali­sation de fonc­tions précises, assignées à de telles institutions, mais dans le respect de certaines valeurs, dont les auteurs soutiennent qu'elles sont justement celles que la gauche - plus précisé­ment la gau­che libertaire - a jugées et juge toujours fondamentales.

Au total, l'Écopar propose un modèle économique dont sont bannis aussi bien le marché que la planification centrale (en tant qu'institutions régu­lant l'allocation, la production et la consommation), mais également la hiérarchie du travail et le profit. Dans une telle économie, des Conseils de consommateurs et de pro­ducteurs coordonnent leurs activités au sein d'institutions qui promeuvent l'incar­nation et le respect des valeurs préco­ni­sées. Pour y parvenir, l'Écopar re­pose encore sur la propriété publique des moyens de production ainsi que sur une procédure de planification décentralisée, démocratique et partici­pative par laquelle producteurs et consommateurs font des propositions d'activités et les révisent jusqu'à la détermination d'un plan dont on dé­montre qu'il sera à la fois équitable et efficient.

Si l'héritage libertaire de l'Écopar est indéniable et lucidement assumé, à d'au­tres égards, le travail de Hahnel et Albert est substantiellement en rup­ture avec cette tradition libertaire. Ce qu'ils lui repro­chent, pour l'essentiel, c'est de ne pas avoir fourni de répon­ses précises, crédi­bles et pratiquement viables aux nom­breux et bien réels problèmes posés par le fonctionne­ment d'une économie - sur le plan de l'allocation des ressources, de la pro­duction, de la consommation. Les propositions anarchistes en économie sont ainsi, à leurs yeux, très largement restées à l'état de propositions criti­ques et négati­ves : au total, on sait très bien ce que les anarchistes refusent en matière d'institu­tions économiques (les inégalités de sta­tut, de revenu, de circonstance ; la pro­priété privée des moyens de production ; l'esclavage salarial et ainsi de suite), mais beau­coup moins ce qu'ils préconisent et les moyens de parvenir à des institutions échappant à ces critiques et incorpo­rant les valeurs privilégiées. Ce n'est pas le lieu d'examiner ici en détail cette évalua­tion des apports de la tra­dition libertaire en économie pour décider de sa validité. Rappelons sim­plement que c'est du côté des Conseils - telle qu'on peut trouver cette idée exposée et défendue par exem­ple dans la tradition des soviets, du Guild So­cialism mais aussi chez Rosa Luxem­bourg et plus encore chez Anton Pan­ne­koek - que l'Écopar trouvera son inspira­tion pour la conceptualisation de ses ins­titutions économiques.

On peut soutenir que toute l'ambition de l'Écopar est de montrer qu'il existe bien une troisième voie et que celle-ci est pré­cisément l'avenue que les anar­chistes, notamment, ont pressentie. Partant de là, l'Écopar s'efforce de prouver qu'elle est une alternative crédible et pratiquement réalisable, notamment en répondant à ces diffi­ciles questions que ses prédécesseurs laissaient sans réponse : comment par­vient-on à ces décisions qui doivent être prises ? comment des procédures démo­cratiques peuvent-elles générer un plan cohérent et efficient ? com­ment les pro­ducteurs sont-ils moti­vés ? Et ainsi de suite...

Il n'est pas certain, bien entendu, que les réponses de l'Écopar à ces ques­tions soient les bonnes, théorique­ment, ni qu'elles soient viables prati­quement. Mais, au moins, il y a des réponses. Ces réponses soulèvent à leur tour de nom­breuses questions et de nombreux enjeux, philosophiques, politiques, sociologiques, anthropolo­giques. Un des grands mérites de l'imposant travail ac­compli par Albert et Hahnel est, à mes yeux, de permet­tre de les poser, souvent d'une ma­nière neuve. Partant, l'Écopar contri­bue aussi à penser qu'un autre monde est possible, ceci au moment où le fatalisme conformiste am­biant nous présente frauduleusement l'ordre des choses humaines comme étant néces­saire. Enfin, l'Écopar nous aide à pré­ciser ce pour quoi nous luttons et à formuler des réponses à la question qu'inévitablement on pose à ceux qui luttent : "Mais en faveur de quoi êtes-vous donc ?"

«   Normand Baillargeon