Echos de la manifestation anarchiste du samedi 15


13 heures. Distribution de tracts Parvis de St-Gilles avec un copain de la FA de Lille.

Les gens sont intrigués mais assez récep­tifs ; on était allé là pour repérer comment ça se passait, s’il y avait des fourgons, et on a juste vu des petits bonshommes verts qui faisaient leur boulot : «Service de la Ville de Bruxelles».

13h 45, Porte de Hal. Des mecs en jaune distribuent des plans de la ville et des métros ; ils portent en grosses lettres sur le dos : «PREVENTION». En fait, ce sont des jeunes jobistes payés par le Mi­nistère de l’Intérieur. Ils n’ont pas l’air de prendre leur boulot très au sérieux. Ils proposent même de porter une partie de nos drapeaux ; il a fallu les arrêter en leur rappelant la diffé­rence entre leur motiva­tion pour être là et la nôtre.

Un type en parka kaki et béret noir s’approche de nous : «Vous êtes les or­ganisateurs ? Enchanté, Julien Machin, votre contact avec la police. Vous atten­dez combien de personnes à peu près ? Vous comptez respecter le par­cours ? Que comptez-vous faire après le Square des Blindés ?». Manifeste­ment, il ne de­mande qu’une chose : que ce soit vite fini et qu’il puisse se sortir sans incident de cette écrasante responsabilité. On lui dit qu’après le Square des Blindés, notre manifestation est finie mais qu’une grande majo­rité des manifestants ont l’intention de rejoindre de là la Street Party à la Gare du Midi. Pas d’objection

14h. On commence à se placer derrière la banderole «Direct Action against capita­lism», pendant que des Allemands dé­ploient une banderole sur chacun des côtés, de manière à constituer un bloc pour marquer le début de la manif et évi­ter que le cortège se disperse. Quelques journalistes viennent poser des questions du genre «Pourquoi une manifestation anarchiste ? Qu’avez-vous à dire sur les incidents d’hier ? Prévoyez-vous des problèmes de violence ?».

14h 10. Démarrage sur «viva Anarquia». Une nuée de photographes impossibles à identifier nous mitraillent sous tous les angles.

On remarque assez vite que les slogans en français ne sont pas repris, car on est suivi par un grand nombre d’Allemands et d’autres nationalités, alors que les slogans en anglais, lancés par le groupe derrière la banderole sont assez bien suivis, notam­ment : «No border no nation stop depor­tation». En fran­çais, retenons quand même «A ceux qui veulent dominer le monde, le monde répond : résistance !», «Police nationale, police du capital», et l’indémodable «Police partout, justice nulle part».

Tout s’est bien passé jusqu’aux Blindés. Le parcours prévu a été respecté : boule­vard du Midi, rue de la Senne, rue du Grand Serment, rue du Rempart des Moi­nes, Marché aux Porcs.

Quand on est passé devant les HLM, les gens nous saluaient et nous soute­naient du haut de leurs immeubles. Peut-être que le collage du mercredi dans le quartier aura porté quelques fruits.

15h. Arrivée aux Blindés, il fallait déci­der d’urgence par quel chemin on allait rejoindre la street party. Moment de flo t­tement ; certains en profitent pour décider d’aller vers le centre, et entraînent tout le cortège vers le théâtre flamand. On voyait bien cependant que toutes les issues étaient bloquées par les Blue Blocks. Plusieurs membres du Centre se précipi­tent à l’avant de ce cul-de-sac, pour invi­ter ceux qui se préparent déjà à l’affrontement, à re­prendre le chemin en sens inverse jusqu’à la Gare du Midi, car on vient d’apprendre que la police de Bruxelles nous autorise à revenir en ar­rière. On est presque étonné de voir que ça marche et que la vague reflue vers les Blindés. Là, les flics nous obligent à nous diriger vers le canal par la rue Forêt d’Houthulst. Probablement pour une rai­son technique, leur dispositif ne permet­tait pas qu’on revienne par les rues du premier parcours ; les bou­levards le long du canal étaient le seul accès.

15h 40. L’avant de la manif est marqué par la banderole de la FA qui a rem­placé les autres, disparues entretemps. C’est stabilisé à l’avant sur les quais du canal. Massivement, les 3/4 du cortège sont restés calmes. La musique reprend. L’ambiance est à nouveau festive à l’avant. Une camionnette de flics nous ouvre le passage dans la circulation.

On découvre qu’il y a une camionnette à hauteur de la porte d’Anderlecht sur la gauche. Elle appelait à une manif contre l’OTAN. Elle rejoint le cor­tège.

A l’arrière, c’est un peu plus difficile de contenir quelques manifestants qui se mettent à lancer des pavés et des cocktails molotovs en direction des flics, qui se trouvent de l’autre côté du pont (peut-être sur décision de Moureaux). Les flics n’ont pas riposté, ils n’auraient peut-être pas dû se montrer. Du pont d’Anvers, les flics ont un peu avancé et l’auto pom pe a été mise en mar­che, mais rien de grave. La course des manifestants a été provoquée par ça. Grosso modo, les flics sont restés de l’autre côté du pont. Deux membres du Centre libertaire sont restés tout le temps en dernière ligne, avec plusieurs person­nes formant une Legal Team, en marchant lentement pour empêcher tout contact entre les flics et les derniers manifestants.

Peu avant la gare, un car d’un groupe alternatif allemand se met à jouer du rock à fond la caisse et s’introduit dans le cor­tège, ce qui met l’ambiance à son comble. Un concert d’acclamations s’élève chaque fois qu’un manifes­tant s’attaque à un symbole du flicage, du profit et de l’exploitation (caméras de surveillance, vitrines de banques et de sex shop, voitu­res de luxe) — per­sonne ne se désolida­rise de ces actes, même si tous ne les auraient pas com­mis eux-mêmes.

16h. Arrivée sur l’esplanade et jonction avec la street party.

On s’engouffre sous le pont du chemin de fer, derrière le joyeux char musi­cal des collectifs. Tout le long, on est entouré par des gendarmes bien visi­bles. On prend la rue de Mérode puis la rue Théodore Ver­haegen jusqu’à la Place Bethléem. Là, les flics nous empêchent de continuer à monter vers la Barrière de Saint-Gilles, et nous forcent à nous engager dans la rue Vanders­ch rick avant de nous bloquer complètement au croisement de la rue de Pra­gue et de la rue d’Andenne. Dans chaque rue, une rangée de robocops avaient pris position ; face aux manifes­tants, une auto pom pe a balancé un peu d’eau pour menacer la fête de dispersion. L’avant bloqué, l’arrière continuait à avancer, de sorte que le cortège devenait de plus en plus com­pact.

Malgré la tension croissante, les manifes­tants les plus chauds se contentaient de faire du face à face avec les flics et n’ont pas provoqué de dégâts, sauf quelques personnes non identifiées qui donnaient des coups de pied dans les phares de voi­tures stationnées, n’importe quelles voitu­res.

17-18h. L’attente est interminable. Der­rière le camion, on danse sans se faire de souci. Plus loin, on fait connaissance avec les habitants, qui nous font plutôt bon accueil. Plusieurs manifestants qui en ont ras-le-bol d’attendre parviennent à se faufiler entre les rangées de robocops, après avoir été fouil­lés. Quelques organi­sateurs se mettent à négocier ; notre flic de contact in­tervient lui aussi ; enfin Thielemans et Picqué transmettent l’ordre de déblo­quer le barrage. Les flics râlaient de devoir reculer, certains avaient envie d’en découdre. C’est de leur propre ini­tiative qu’ils avaient engagé une auto­ pom pe dans la rue. D’ailleurs Thielemans va demander des explications sur la pré­sence de cette auto pom pe à cet endroit. Les flics ont pris des initiatives opposées au politique, aussi bien pendant notre manif que pendant la street party (plus grave dans celle-ci). La street party était festive et n’était pas du tout agressive. La souricière policière était vraiment parfaite pour agiter tout le monde. S’il y avait eu des heurts, ç’aurait été le massacre.

Au bout d’une heure de tractations, les flics ont donc laissé la street party avancer dans la rue VDSch rick , puis descendre la rue Volders jusqu’au Par­vis, mais escor­tée par deux cordons de casqués de bleu : «Si vous poussez, on matraque»

Enfin, vers 19h30, la plupart des flics s’étaient retirés, à part une trentaine d’entre eux qui bloquaient la rue d’Angleterre, et certains combis qui se trouvaient sur le haut de la Porte de Hal, bloquant l’accès vers le boulevard de Waterloo.

Les flics en civil ont eu quelques problè­mes lorsqu’ils ont voulu contrôler des gens du Legal Team (on se demande pourquoi !). Un manifestant a atta­qué un combi à mains nues ; de celui-ci est sorti un gaz au poivre qui a tou­ché une dizaine de manifestants dont certains s’étaient pourvus de citron par sécurité. Belle preuve de justice que d’agresser le «cou­pable» et tous ceux qui discutaient au­tour.

«   Réalisé à partir des témoignages de Annibal, Annick, Jacques, Jean-Marie, Thierry, Xavier.



Soli darité des habitants

Pendant le blocage de la street party, des rumeurs circulaient comme quoi des flics en civils prenaient et écartaient des mani­festants isolés, un par un.

Je me mets à discuter avec un habitant du quartier pour lui dire de faire gaffe et de prévenir les gens dans le quartier des risques de charge (car il y a de nombreux enfants dans la rue). Lui se plaint de ce que sa façade a été taguée du slogan «vive les sans papiers». On discute lon­guement –points de vue différents, mais échange intéressant.

Les flics avancent de nouveau ; je crains la charge, panique, je demande à Moha­med s’il est prêt à m’ouvrir sa porte. Comme il me l’avait déjà dit, il n’y a pas de problèmes et il me fait entrer avec deux autres personnes. On attend en si­lence dans le couloir. Trois minutes plus tard, il ouvre : tout va bien, il va discuter avec les flics et nous dit qu’ils sont gen­tils.

On attend encore un petit peu et on sort. Ouf ! Le cordon est passé.

Témoignage de Xavier B

Nombreuses arrestations administratives

Samedi la police a procédé à des arresta­tions préventives (une vingtaine) avant la manif anar. En sortant d'un bistrot avant d'aller à la manif, vers 13 heures, nous sommes 6 (4 de No Pasaran, 1 de la CNT et moi de la FA) a avoir été arrêtés. Des flics nous ont stoppés au coin d'une rue et, prétendant qu'ils avaient TOUS les droits, nous ont fouillés (sans rien trouver à part des citrons !) et embarqués, en frappant un copain. Les copains ayant assisté à l'arrestation ont pu prévenir assez vite la Legal Team. Pendant près de 5 heures, nous avons été menottés et baladés dans Bruxelles en car, j'en ai encore les traces sur les poignets. Le car se remplissait progressivement de manifestants arrêtés. Puis nous avons été transférés dans un commissariat central, une sorte de gigan­tesque caserne. Nous avons été pris en photo (ce qui est interdit pour une simple arrestation administrative) puis mis dans une grande cellule collective, assez froide. Nous étions une trentaine dont beau­coup avaient été arrêtés avant la manif, essen­tiellement des punks. La conne­rie poli­cière fait que vers 22 heures ils ont com­mencé a faire incarcérer avec nous des skins. Au 3° qu'ils ont voulu faire entrer, nous avons réagi très énergiquement en gueulant et en menaçant de produire une émeute. Avec succès, puisque les flics les ont évacués instantanément. Ce succès s'est transformé en crainte : il était possi­ble que des fachos nous attendent à notre sortie... Puis les flics ont libéré les gens progressivement vers 23 heures. Un flic nous a dit qu'il avait contacté et donné nos noms à l'ambassadeur de France. Puis enfin nous avons été libérés à 1 heure du matin, après la durée maximale de déten­tion de 12 heures. Les flics ont eu quel­ques propos racis­tes et sexistes envers une copine, et nous ont raccompagnés jusqu'à l'entrée en continuant leur petit jeu de flics autoritaires. Ayant tous raté notre autocar pour le retour sur Paris, nous nous préparions à marcher longtemps dans Bruxelles, en espérant ne pas croiser de fascistes. Mais, énorme soulage­ment, quelques personnes nous attendaient et nous annonçaient que le bus du Scalp-Toulouse nous avait attendus. Petit arrêt par Paris, et j'arrive enfin à 7h chez moi.

(témoignage emprunté au site de la FA)

 

NDLR: Il y a eu plusieurs dizaines d’arrestations, mais il faut remarquer qu’une bonne par­tie était constituée par des fachos de la manif nationaliste prévue pour le samedi matin et qui avait été interdite. On l’a appris juste à temps pour ne pas aller manifester devant la caserne pour leur libération !

On attend une confirmation de la part des Legal teams, mais il semble que personne ne soit resté détenu plus longtemps que les 12 heures réglementai­res.

Cocorico !

Cela fait au moins trente ans qu’on n’avait pas vu un cortège libertaire aussi important (2000 à 3000 participants, dont 700 à 1000 belges). La manif a été large­ment autogérée, puisque les organisateurs avaient choisi de se passer de service d’ordre et étaient de toutes façons trop peu nombreux pour contrôler quoi que ce soit. Chacun s’est montré responsable et l’ensemble montrait une belle cohésion.

Même constatation en ce qui concerne les lieux de logement : spontanément les groupes ont tout rangé et nettoyé diman­che, montrant concrètement que la culture libertaire n’est pas un vain mot.

Quelques déceptions quand même…

La plus grande des déceptions, c’est la défection de la CNT (Vignolles) qui a choisi de défiler avec d14, sur le parcours ULB - Schumann, de même d’ailleurs que la CGT espagnole. Ce qui nous console, c’est que pas mal d’entre eux l’ont re­gretté en comparant les parcours et les ambiances respec­tives.

Et puis, il faut tout de même signaler un copain qui, dans la manif jusqu’au square des Blindés, n’a apprécié ni le parcours (désert), ni les manifestants (écrasante majorité de jeunes du style «pas crédible aux yeux des gens» ), ni le nombre (des manifs anti-fascistes réunissent 5000 personnes), ni le lieu de dislocation (tou­tes les conditions étaient requises pour que ça dégénère), ni la presse (elle a peu parlé de l’événement et a surtout photo­graphié les jeunes qui tagaient).


Notre projet de société n'est pas une utopie


Il est trop tôt et on ne dispose pas du temps nécessaire pour dresser un bilan de cette dernière semaine de mobilisation libertaire, mais en ce qui me concerne, je peux affirmer qu'elle représente une des plus belles expériences de ma vie, sur le plan militant mais surtout sur le plan humain.

Le milieu libertaire dans sa diversité et sa globalité (membres d'orgas, auto­nomes, individus, sympathisants) a réussi prouver cette dernière semaine (malgré toute les imperfections qui ont pu apparaître) que notre projet de société n'est pas une utopie pour demain mais bien une idée qui se faufile dans nos pratiques, ici et mainte­nant.

Autogestion, solidarité, respect des diver­sités (idéologiques, organisation­nelles, tactiques et stratégiques, différence de looks et de sensibilité, etc, etc), responsa­bilisation individuelle et collective, dépas­sement des tensions, chaleur humaine, entraide mutuelle, ... Voilà ce que j'ai vu et voilà ce que je retiendrai : Pour quel­ques jours, ces mots se sont envolés de nos livres, tracts et journaux, et ont vaga­bondé librement dans les rues de Bruxel­les.

 Merci à tous ceux qui ont rendu cela possible (et ils sont nombreux) !

«    Xavier Bekaert